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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Dépasser la Révolution Verte dans la nouvelle ère de la faim en Afrique

8 Janvier 2018 , Rédigé par Seppi Publié dans #Afrique

Dépasser la Révolution Verte dans la nouvelle ère de la faim en Afrique

Calestous Juma †*

 

 

 

 

 

Un quart des personnes souffrant de la faim dans le monde vivent en Afrique subsaharienne et leur nombre augmente. Entre 2015 et 2016, le nombre de ces personnes – en détresse et incapables d'accéder à suffisamment de calories pour mener une vie saine et productive – est passé de 20,8 % à 22,7 % de la population subsaharienne entre 2015 et 2016. Le nombre de personnes sous-alimentées a crû de 200 à 224 millions sur une population totale de 1,2 milliard.

 

Les conflits, la pauvreté, les perturbations environnementales et une population croissante, tout cela contribue à l'incapacité de la région à se nourrir.

 

Pour lutter contre la faim, le continent doit trouver de nouvelles approches, intégrées. Ces approches – discutées lors d'une conférence récente à Harvard – doivent augmenter le rendement des cultures, améliorer le contenu nutritionnel des régimes alimentaires, améliorer la santé des gens et promouvoir la durabilité.

 

Cela peut sembler une tâche gigantesque, peut-être insurmontable. Mais l'Afrique peut apprendre des expériences de la Révolution Verte, mises en mouvement par les États-Unis dans les années 1960. L'initiative a été lancée en réponse aux grandes famines et crises alimentaires des années 1940 et 1950. Ce fut une opération complexe qui démontre le pouvoir de la science, de la technologie et de l'esprit d'entreprise dans la réponse aux défis mondiaux.

 

On estime que la Révolution Verte a sauvé jusqu'à un milliard de personnes de la famine. L'Afrique doit mettre en place sa propre version si elle veut aider à sauver sa population de la faim. Ses leçons sont instructives en raison de la nécessité d'aborder la crise de la faim comme un problème complexe – et pas seulement comme l'augmentation des rendements des cultures ou de la production alimentaire globale.

 

 

Le modèle de la Révolution Verte

 

La géopolitique a été le principal moteur de la Révolution Verte. Les États-Unis et l'Union Soviétique étaient enfermés dans la Guerre Froide. Les Soviétiques ont défendu un modèle d'agriculture collectivisée ; les États-Unis ont imaginé et mis en œuvre la Révolution Verte.

 

Son objectif était d'augmenter les rendements en utilisant des variétés améliorées de riz, de blé et de maïs. Ceci a été réalisé en associant les nouvelles variétés avec des engrais et des pesticides.

 

La coopération a été un élément crucial du succès du projet. Un réseau mondial de 15 centres de recherche agricole a été créé pour adapter les variétés sélectionnées aux États-Unis et au Japon aux conditions des pays comme l'Inde et les Philippines.

 

Mais peut-être plus important encore, la volonté politique s'est exprimée. Les pays ont reconnu qu'il pouvait y avoir des risques nutritionnels et environnementaux liés à l'adoption de la technologie offerte par les États-Unis. Mais ils savaient aussi que les conséquences des famines créeraient des crises de sécurité nationale.

 

L'Inde, le Mexique et les Philippines ont considérablement augmenté leur production alimentaire. Mais l'accent mis sur les rendements a laissé subsister dans les mêmes régions une mauvaise nutrition, la dégradation écologique et un exode rural causé par les regroupements fonciers.

 

Il n'y a pas d'incitation géopolitique pour l'action aujourd'hui. Mais il peut y avoir un moyen de tirer parti de la volonté politique. Le développement économique est au sommet du programme de développement de l'Afrique et les dirigeants africains reconnaissent qu'ils peuvent difficilement faire croître leur économie sans augmenter la productivité agricole.

 

C'est le moment idéal pour commencer à s'attaquer à la crise de la faim sur le continent.

 

 

Comment le faire ?

 

Ce n'est pas une tâche pour un seul secteur de la société. Mettre fin à la faim en Afrique impliquera de rassembler des acteurs clés tels que le gouvernement, les universités, l'industrie et la société civile. Nous devons voir ce qui a déjà été fait et ce qui fonctionne déjà ; nous devons interagir et apprendre en permanence les uns des autres.

 

Des pays africains comme le Nigeria et l'Éthiopie, qui ont augmenté leur production alimentaire, se sont appuyés sur une approche à l'échelle du système – et non sur le recours traditionnel à des projets isolés. Les mesures comprennent l'investissement dans les infrastructures rurales, l'amélioration de la formation technique des agriculteurs, l'exploitation des nouvelles technologies, l'amélioration de la transformation des aliments et l'amélioration de l'accès au marché local. L'Ethiopie est allée plus loin et a créé l'Agence de Transformation Agricole pour mieux coordonner cette stratégie.

 

L'apprentissage doit avoir lieu dans tous les secteurs. Par exemple, que peut nous apprendre la transition vers une énergie propre au sujet de la transition vers des aliments « plus propres », plus sains et plus nutritifs ? Cela a inspiré un changement vers de nouvelles applications technologiques qui augmentent la consommation d'énergie tout en réduisant l'impact écologique.

 

Un scénario comparable peut être envisagé pour les transitions dans les systèmes alimentaires pour réduire les carences nutritionnelles, freiner la propagation des maladies non transmissibles (telles que l'obésité) et protéger l'environnement par des pratiques telles que l'intensification durable.

 

Favoriser les transitions énergétiques implique également de diversifier et de conserver l'énergie. Des approches similaires pour développer les sources de nourriture et réduire la perte et le gaspillage de nourriture devront faire partie des transitions alimentaires.

 

 

Experts techniques

 

 

Norman Borlaug, un scientifique qui a été un moteur la Révolution Verte et a obtenu le prix Nobel de la Paix en 1970, a également jeté les bases de ce qui peut être réalisé en Afrique.

 

Dans les dernières années de sa vie, Borlaug a dirigé des études visant à améliorer les plantes cultivées indigènes africaines afin de contribuer à l'élargissement des paniers alimentaires du continent. Il a présidé un comité de l'Académie Nationale des Sciences des États-Unis qui a complété une étude antérieure sur les céréales et autres graines par des rapports sur les légumes et les fruits de l'Afrique.

 

Ce type de travail doit être systématiquement élargi pour inclure d'autres sources de nourriture telles que le bétail, les produits de la pêche et les insectes.

 

Pour que tout cela se produise, les universités doivent s'impliquer dans la production de nouvelles générations d'experts techniques, de décideurs et de praticiens. Ce sont eux qui soutiendront la transition alimentaire et préserveront l'avenir alimentaire de l'Afrique. Et cela ne nécessite pas de réinventer la roue académique : par exemple, les écoles d'ingénieurs qui se concentrent sur la solution de problèmes sociaux peuvent élargir leur rôle de soutien à l'industrie pour inclure l'agriculture.

 

C'est déjà fait par des institutions telles que le Massachusetts Institute of Technology. Dans de nombreux autres cas, de nouvelles universités devront être créées, comme cela a été fait au Costa Rica en 1990 avec l'Université EARTH, probablement la première institution d'enseignement supérieur du développement durable au monde.

 

Les défis complexes de la faim en Afrique ne peuvent être relevés qu'en tenant compte des préoccupations émergentes en matière de nutrition, de santé, de maladies non transmissibles, de perte et de gaspillage de nourriture, et de projets environnementaux. Ce sont également des défis mondiaux qui rendent les efforts de l'Afrique pertinents pour le reste de l'humanité.

 

_____________

 

* Calestous Juma est décédé le 15 décembre 2017. Il était professeur de pratique du développement international, Harvard Kennedy School, Université Harvard. Voir un hommage ici et ici.

 

Sa déclaration d'intérêts produite en relation avec l'article ci-dessus disait :

 

« Calestous Juma ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire. »

 

Source : https://theconversation.com/moving-beyond-the-green-revolution-in-africas-new-era-of-hunger-87310

 

Ce texte a été publié à l'origine le 7 décembre 2017.

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