Mission parlementaire d'information sur l'utilisation des produits phytopharmaceutiques : audition des représentants de l'INRA
Mercredi 22 novembre 2017, M. Philippe Mauguin, PDG de l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), et M. Christian Huyghe, directeur scientifique agriculture, ont été auditionnés par la mission parlementaire d'information sur l'utilisation des produits phytopharmaceutiques.
On peut visionner ici l'intégralité de l'audition (avec un bon ordinateur, la qualité de la prise de son étant parfois déplorable).
Le Figaro, avec AFP, nous semble avoir été le seul média à rendre compte de l'événement, dans « Inra: pas de "solution miracle" pour remplacer les pesticides ». Ce n'est pas enthousiasmant.
Il y a eu foule...
Cela contraste du reste avec les nombreux articles qui « nous » présentent les « alternatives au glyphosate » avec plus ou moins d'enthousiasme (plutôt plus...) et plus ou moins de naïveté (idem). Et souvent avec des contributions venant du milieu de l'agriculture biologique qui ne s'embarrassent pas de dénigrer l'agriculture « conventionnelle » – celle dont je ne cesserai de préciser qu'elle nous nourrit. Pour la critique d'un exemple, voir ici.
Sous le titre « INRA : "pas de solution miracle sur le glyphosate, mais des solutions sont possibles...", LCP propose une séquence de six minutes et des morceaux choisis. Ce titre nous paraît plutôt bien trouvé : ne pas se mouiller, ni dans un sens, ni dans l'autre... Mais il y a des parlementaires qui ont entendu ce qu'ils souhaitaient sans nul doute entendre. Résumé de LCP :
« Les agriculteurs pourraient baisser de 30% l'utilisation de produits phytopharmaceutiques tout en conservant le même rendement, assure Philippe Mauguin, auditionné mercredi par les députés. Au-delà du cas du glyphosate, le patron de Institut national de la recherche agronomique prône une réflexion globale sur l'agriculture moderne. »
Que disait, en janvier 2010, le résumé en huit pages de l'expertise collective « Ecophyto R&D – Quelles voies pour réduire l'usage des pesticides ? »
« Un objectif de réduction autour de 30% de l'IFT correspond à un passage majoritaire à la protection intégrée (N2a). La baisse de pression pesticide serait alors de 34% en grandes cultures, pour une baisse de production de 6% ; en arboriculture fruitière, la réduction de la pression pesticide serait de 7% pour un niveau de production qui se maintiendrait. Les marges brutes seraient peu ou pas affectées par rapport au niveau actuel pour ces deux types de production. Pour la viticulture, les données ne permettent pas de distinguer les effets de la protection intégrée de ceux de la production intégrée ».
Alors, « ...baisse de production » ou « ...même rendement » ?
Il y a certes eu des progrès techniques depuis 2010, et d'autres sont attendus, notamment pour les outils d'aide à la décision, les dispositifs pour l'agriculture de précision et les matériels. Mais de toute façon, l'affirmation, telle que résumée par LCP, est au conditionnel de prudence. Et prôner « une réflexion globale sur l'agriculture moderne », ça ne mange pas de pain et va droit au cœur des parlementaires.
M. Mauguin s'est beaucoup appuyé sur une étude unique, « Reducing pesticide use while preserving crop productivity and profitability on arable farms » (réduire l'usage des pesticides en préservant la productivité et la rentabilité des cultures dans les exploitations de grandes cultures) de Martin Lechenet et al., publiée dans Nature Plants.
LCP retient en pavé :
« On peut réduire de 30% les produits phytosanitaires sans affecter la productivité, en maintenant le même niveau de rendement dans 94% des cas et sans dégrader la rentabilité dans 78% des cas. »
C'est différent de son chapô ! C'est aussi admettre des pertes de productivité dans 6 % des cas et, surtout, de rentabilité dans 22 % – près d'un quart – des cas.
À quoi sert un deuxième fongicide sur blé ?
On retrouve là la technique employée dans le communiqué de presse publié par l'INRA le 27 février 2017 : une affirmation péremptoire bien en évidence, suivie de propos précautionneux dans le texte :
« Les analyses montrent que la relation entre la Fréquence de Traitements phytosanitaires (IFT2) et les productivité/rentabilité dépend de la situation de production, i.e. du type de sol, du climat, de l’association à l’élevage qui facilite la diversification par des cultures fourragères rustiques, de l’accès à l’irrigation, ou de l’accès aux débouchés pour des cultures industrielles. En tenant compte de ces éléments de contexte, il serait possible de diminuer l’IFT en maintenant une productivité équivalente ou meilleure dans 94% des situations, et en maintenant une rentabilité équivalente ou meilleure dans 78% des situations. Cependant cette diminution d’IFT n’entraîne pas de gain de performance économique dans 89% des situations. »
Notez que dans ce texte, on a pris soin de ne pas avancer de chiffre sur l'ampleur de la réduction. Les 30 % apparaissent dans la suite, en intertitre... et au conditionnel : « La réduction de l’usage des pesticides à l’échelle nationale française pourrait atteindre 30% ».
Cela repose, d'une part, sur un « un scénario de transition ‘ECOPHYTO’ généralisé » – lire : un Kriegsspiel sur un tableur – et, d'autre part, sur une
« condition d’adaptations conséquentes des systèmes de culture, comme par exemple la diversification des cultures, avec introduction de cultures rustiques ou de prairies temporaires en régions d’élevage, la diversification des variétés, l’ajustement des dates de semis et des modalités de fertilisation associées à la modération des objectifs de rendement sur certaines cultures, l’utilisation des techniques de faux-semis et de désherbage mécanique. »
Nous avions critiqué un peu l'étude et beaucoup son instrumentalisation dans « Réduire l'usage des pesticides... la preuve par les statistiques ». Sur Forumphyto, M. Philippe Stoop avait taillé l'étude en pièces dans « De la science à la propagande, épisode 2 : Comment "démontrer" que les pesticides ne servent à rien ».
En réponse à une critique sur la forme, il avait produit : « De la science à la propagande, suites : de la bonne utilisation du "buzz" ». Dans un des intertitres, il écrivait : « Discours scientifique ou médiatique, il faut choisir ».
On peut craindre que dans cette audition, le choix n'est pas tombé sur le discours scientifique.
Le Figaro a retenu ce propos :
« La réponse sur laquelle on travaille c'est la combinaison de plusieurs approches: il faut à la fois faire des progrès sur la sélection génétique, en agronomie et sur le biocontrôle. »
Belle incantation d'une remarquable platitude. On aurait aimé voir une déclaration de choc sur le rôle incontournable des produits phytosanitaires pour une production agricole et alimentaire conforme aux besoins en quantité et en qualité, conformément aux nécessités économiques, environnementales et sociales. Et aussi à la nécessité d'œuvrer à un changement des attitudes sur les produits phytosanitaires, et aussi sur les OGM, notamment ceux permettant une réduction importante du recours à ces produits, ou des substitutions par des produits à meilleur profil toxicologique et écotoxicologique. Et, plus généralement, à une meilleure information sur le rôle et les effets de ces produits.
À gauche, avant. À droite après le révolution technologique des betteraves sucrières GM tolérant le glyphosate. Mais c'est aux États-Unis d'Amérique. Lire aussi ici.
C'est à lire aussi :
Un compte rendu d'une séance de l'Académie d'Agriculture de France sur « Écophyto ou quelle stratégie pour une agriculture moins dépendante des produits phytosanitaires ? »
"Moins de phytos c'est possible et rentable"... avec 22 % de cas de perte de rentabilité... Notre personnel politique est décidément délicieux.