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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Glyphosate : le Monde en guerre, avec une coalition d'ONG, contre l'ECHA

15 Mars 2017 , Rédigé par Seppi Publié dans #critique de l'information, #Activisme, #Glyphosate (Roundup)

Glyphosate : le Monde en guerre, avec une coalition d'ONG, contre l'ECHA

 

et l'ECHA n'a pas classé le glyphosate comme cancérogène

 

 

 

 

 

L'Agence Européenne des Produits Chimiques (ECHA) vient d'annoncer que son Comité d'Évaluation des Risques (CER) n'a pas classé le glyphosate comme cancérogène.

 

Dans un articulet de deux paragraphes, le Monde considère que l'agence « blanchit » la substance alors que cette conclusion est conforme à celle de nombreuses agences d'évaluation et de régulation, à l'exception d'une seule institution, le CIRC, dont la détermination et les procédures ont été fortement critiquées.

 

Le 7 mars 2017 (date sur la toile), le Monde a publié un article qui répercute avec complaisance les dernières récriminations d'une « coalition » d'ONG qui allèguent notamment des conflits d'intérêts au sein de l'ECHA. C'est la dernière manœuvre de ces organisations ; elle leur permettra de bombarder les institutions européennes bruxelloises, auxquelles il incombe maintenant de décider du renouvellement de l'autorisation du glyphosate et les États membres avec l'argument – classique – de l'invalidité d'une recommandation pour cause de conflits d'intérêts.

 

Les allégations sont fort ténues. Les intérêts en cause ont été annoncés. L'ECHA a répondu, notamment que les situations de conflit se gèrent... mais les lecteurs du Monde n'en sauront rien.

 

 

You have to draw lines between being a journalist and an activist. - Michael Pollan

 

 

Les journalistes militants du Monde – les militants dotés d'une carte de journaliste – sont fort occupés : climatoscepticisme, perturbateurs endocriniens, signalétique nutritionnelle, pesticides en général, et surtout glyphosate. Voici, sans souci de la chronologie, un premier article d'une série sur les derniers exploits du journal dont même la date est fausse.

 

 

Et voici qu'on « blanchit » le glyphosate
 

Quand nous avons fait craquer les doigts devant le clavier, le sort de la matière active de l'herbicide le plus utilisé dans le monde – pour cause de qualités techniques et agronomiques et de profil toxicologique et écotoxicologique remarquables – devait se préciser dans la journée.

 

L'Agence Européenne des Produits Chimiques (ECHA) vient de publier son communiqué de presse, « Le glyphosate pas classé comme cancérogène » (notre traduction) :

 

« Le Comité d'Évaluation des Risques (CER) de l'ECHA convient de maintenir le classement harmonisé actuel du glyphosate en tant que substance causant des lésions oculaires graves et toxique pour la vie aquatique avec des effets durables. Le CER a conclu que les preuves scientifiques disponibles ne répondaient pas aux critères pour classer le glyphosate comme cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction. »

 

Le Monde vient – à l'heure où nous complétons ce billet – de mettre en ligne son « information ».

 

Le titre : « Pesticides : l’Agence européenne des produits chimiques blanchit le glyphosate ».

 

Il faut vraiment oser ! « ...blanchit... » implique, en l'espèce, que la substance incriminée présente des caractères peu recommandables. Il y a pourtant, non pas « consensus » mais unanimité à une exception près au sein des agences d'évaluation et de régulation pour donner une bonne appréciation au glyphosate.

 

Le journal ajoute dans un articulet de deux paragraphes :

 

« L’agence d’expertise prend ainsi le contre-pied de l’Organisation mondiale de la santé et ouvre la voie à une réautorisation du produit en Europe. »

 

Là aussi, il faut vraiment oser pour un journal qui se veut de qualité : le « contre-pied », c'est par rapport au CIRC, le Centre International de Recherche sur le Cancer. L'OMS, comme nous l'avons écrit sur ce site avec les passages clés du rapport, a estimé, dans le cadre de la Réunion Conjointe de la FAO et de l'OMS sur les Résidus de Pesticides (Joint FAO/WHO Meeting on Pesticide Residues – JMPR), que « le glyphosate ne pose vraisemblablement pas de risque cancérogène [unlikely to pose a carcinogenic risk] pour l'Homme par l'exposition par l'alimentation ».

 

Résultat de recherche d'images pour "echa glyphosate"

(Source)

 

Les hurlements ont bien sûr commencé sur le fil des commentaires.

 

Le Figaro, avec AFP, a produit un article plus détaillé et plus mesuré, mais une demi-heure après le Monde (la dépêche de l'AFP semble être reproduite par Terre-net ; celle de Reuters est ici). On peut dès lors s'interroger sur la précipitation de ce dernier. Notre verdict : tenter d'imposer une certaine musique médiatique. Elle ne manquera pas d'attiser les haines et ressentiments contre l'Europe et ses institutions. Le Monde, allié efficace d'une certaine candidate à la présidentielle...

 

 

Et voici qu'on tente de noircir l'ECHA

 

Les « organisations non gouvernementales » qui prospèrent sur le terreau de la contestation devaient bien se douter de l'issue des délibérations de l'ECHA. Il était donc important de prendre les devants dans un ultime effort de dénigrement. Non pas du message, mais du messager. Et avec le concours complaisant de certains médias.

 

Le Monde, fidèle à sa ligne éditoriale, a donc produit le 7 mars 2017, à 1 heure du matin (date sur la toile), sous la signature de M. Stéphane Foucart, un : « L’Agence européenne des produits chimiques interpellée sur le dossier glyphosate » avec en chapô :

 

« Plusieurs ONG dénoncent des conflits d’intérêts au sein du groupe d’experts chargés d’évaluer la cancérogénicité du célèbre herbicide. »

 

L'article se rapporte à une lettre datée de la veille, 6 mars 2017. On admirera la diligence...

 

Il y eut en fait échange de correspondance entre ces organisations, cornaquées par Greenpeace, et l'ECHA. Il peut être trouvé sur le site de l'antenne de lobbying européenn de Greenpeace (au confortable budget de 1 655 727 € et 14 badges pour entrer librement au Parlement Européen).

 

Mais les lecteurs du Monde ne seront pas informées des réponses de l'ECHA. Sauf pour la reproduction de propos sommaires, recueillis probablement par téléphone, propos artistiquement noyés dans le déluge de réthorique activiste.

 

Résumons : ces organisations reprochent à l'ECHA d'avoir en son sein : un président du Comité d'Évaluation des Risques qui a travaillé pendant plus 20 ans dans la consultance pour l'industrie chimique « dans les domaines de la toxicologie, de la chimie analytique et de l'évaluation des risques » (ce qui doit le rendre notoirement incompétent... c'est de l'ironie) et dont l'emploi par TNO et TNO Triskelion a pris fin peu de temps avant sa venue à l'ECHA ; deux membres issus d'institutions publiques nationales publiques qui fournissent aussi des services de consultance.

 

Résumons autrement : un comité, un président (nommé par les États membres), 52 membres (nommés par le Conseil d'Administration de l'ECHA – donc aussi les États membres – parmi les candidats désignés par les États membres)... trois pommes prétendument pourries, et tout le cageot est à jeter...

 

RAC 39 – Glyphosate ECHA, 07/12/201610 |
JMPR genotoxicity conclusions
“The overall weight of evidence indicates that
admi...

 

Une manœuvre minable de dénigrement
 

On pourrait croire à la lecture, notamment du Monde qui « oublie » de mettre les choses en perspectives, que les organisations auraient découvert des choses tellement bien cachées qu'elles ne les ont mises sur la place publique que récemment, à quelques jours de l'avis de l'ECHA. Que nenni !

 

Quand le Monde écrit en chapô :

 

« Plusieurs ONG dénoncent des conflits d’intérêts au sein du groupe d’experts chargés d’évaluer la cancérogénicité du célèbre herbicide ,»

 

il se fait l'écho, sans recul ni esprit critique, d'une prétendue dénonciation de faits qui sont parfaitement connus, et vérifiables en quelques clics, et qui ont été dûment pris en compte quand les intéressés ont été nommés pour servir l'ECHA.

 

Le CV de M. Tim Bowmer, président du CER, et sa déclaration d'intérêts sont en ligne, conformément aux règles de l'ECHA. M. Bowmer a même pris la peine d'expliciter dans la dernière rubrique du formulaire la nature des intérêts professionnels passés :

 

« En ce qui concerne les conflits d'intérêts potentiels, ce qui suit est pertinent. Mon employeur précédent, TNO, a été fondé dans les années 30 par une Loi Parlementaire (révisée, 1986). La mission de TNO est de fournir des conseils scientifiques indépendants tant à l 'industrie qu'aux gouvernements. Bien qu'il s'agisse d'une organisation commerciale, les principes énoncés dans la Loi garantissent des conseils indépendants à tous les clients. TNO Triskelion B.V., créée en 2011, est une filiale à 100% de TNO, gérée par l'intermédiaire de son holding, TNO Bedrijven B.V. Elle se concentre sur la toxicologie et la chimie analytique pour l'industrie alimentaire, pharmaceutique et chimique et l'enregistrement des produits chimiques. TNO Triskelion fournit des services de "tiers de confiance", mettant ainsi l'accent sur son indépendance et augmentant la valeur de ses conseils auprès de ses clients. »

 

Il a aussi indiqué qu'il a été de 2008 à 2013 le président du Groupe Mixte d'Experts Chargé d'Étudier les Aspects Scientifiques de la Protection de l'Environnement Marin (GESAMP), un organe conjoint de neuf organisations du système des Nations Unies, et de 1998 à 2012 le président d'un groupe de travail prodiguant des conseils à l'Organisation Maritime Internationale.

 

Il faut croire que ces organisations intergouvernementales ont hautement apprécié l'expertise de M. Bowmer. En tout cas, les organisations activistes ont soigneusement omis de mentionner cette activité passée... Et le Monde s'est contenté de répercuter leur rhétorique.

 

La déclaration d'intérêts de M. Sławomir Czerczak, Chef du Département de la Sécurité Chimique de l'Institut Nofer de Médecine du Travail, est laconique. Mais il suffit de consulter le site de l'institut pour constater qu'il propose des services aux milieux économiques.

 

S'agissant de Mme Tiina Santonen, qui est à la tête de l'Équipe de la Sécurité Chimique de l'Institut Finlandais de Santé au Travail, les consultances menées par son institut sont bien indiquées dans sa déclaration d'intérêts. Mme Santonen précise :

 

« En outre, le FIOH a fourni des services de consultance à l'industrie en relation avec l'évaluation de la sécurité chimique de plusieurs substances (principalement quelques composés métalliques et quelques alliages) dans le cadre de REACH. J'ai été personnellement impliquée dans certains de ces contrats entre 2007 et 2013. »

 

Elle relève également que son institut mène des projets de recherche dont certains sont co-financés par des entreprises, cette mixité des sources étant souvent une condition préalable à l'obtention de fonds publics. Elle a aussi été impliquée dans de tels projets co-financés.

 

RAC 39 – Glyphosate ECHA, 07/12/20166 |
Genotoxicity studies
 Bacterial studies
– Non-standard test: 4 positive, no negat...

 

Garantir la pérennité du fond de commerce activiste
 

Pourquoi avoir attendu le jour de l'ouverture de la session du CER pour récriminer ? Les faits allégués ayant été publics de longue date, on ne peut que conclure à un agissement de mauvaise foi. La tactique est simple : les organisations activistes ont pris date, en quelque sorte à 11 h 59, pour pouvoir bombarder les institutions européennes bruxelloises ainsi que les États membres avec l'argument de l'invalidité de la recommandation de l'ECHA pour cause de conflits d'intérêts.

 

Elles savent bien que, dans le détail, leurs arguments sont spécieux et inopérants. C'est pourquoi, elles se sont faites plutôt discrètes sur leur démarche, laissant aux médias « amis » – dont le Monde – le soin de créer l'agitation médiatique. Il est ainsi symptomatique que, sauf erreur, Corporate Europe Observatory (CEO) n'a rien sur son site. Notre organisation nationale de désinformation sur les pesticides, généreusement financée par un secteur économique, ne vient d'évoquer la missive à l'ECHA qu'aujourd'hui, dans la première éructation contre la conclusion de l'ECHA.

 

Dans ce qui constitue sans nul doute un désastre éthique – mais c'est une situation endémique dans le cas de ces organisations –, c'est Greenpeace qui sort du lot. Certes l'enrobage est critiquable, mais au moins auront-ils mis en lien les deux missives de la « coalition » et les deux réponses.

 

 

 

 

Le Monde, sourd et aveugle

 

Car oui, l'ECHA a répondu sans attendre, notamment, le 7 mars 2017 (soit le lendemain de la missive entrante) :

 

« En ce qui concerne votre préoccupation au sujet de l'emploi par l'ECHA de personnel issu de l'industrie, par principe, nous n'excluons pas les membres potentiels du personnel ayant eu une carrière dans l'industrie ou toute autre organisation partie prenante. Nous croyons que l'expérience pratique de tous les aspects de notre travail enrichit notre compréhension, efficacité et efficience. Mais il est évident que tous les conflits d'intérêts potentiels doivent être gérés et c'est pourquoi nous avons mis en place une politique sur les conflits d'intérêts qui garantit que les conflits potentiels sont identifiés et gérés de manière appropriée. »

 

Mais les lecteurs du Monde n'en sauront rien et devront se contenter du minimum syndical, en plus placé dans un contexte plutôt dévalorisant :

 

« Interrogée par Le Monde, celle-ci fait valoir que les déclarations d’intérêts des intéressés "ne constituent pas une cause de préoccupation en termes de conflits d’intérêts en relation avec le glyphosate". "Ces deux membres du comité d’évaluation des risques [de l’ECHA] travaillent pour des institutions nationales respectées qui offrent des services de consultance à l’industrie, ce qui est une pratique normale", ajoute-t-on. »

 

La déontologie journalistique aurait pourtant exigé de la part d'un journal qui a étalé avec autant d'enthousiasme les allégations des ONG activistes qu'il publie une réponse plus circonstanciée, qu'il rétablisse l'honneur des personnes dont la bone foi a été implicitement (sinon plus) mise en cause, qu'il informe ses lecteurs que l'ECHA a répondu par lettre circonstanciée à ces ONG et pas seulement donné quelques éléments à la suite d'une appel de journaliste... Hélas...

 

 

 

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