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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Profil d'un agriculteur indien : des semences GM de haute technologie sur une ferme traditionnelle

25 Septembre 2016 , Rédigé par Seppi Publié dans #OGM, #Inde, #Vandana Shiva

Profil d'un agriculteur indien : des semences GM de haute technologie sur une ferme traditionnelle

 

Aneela Mirchandani*

 

 

 

 

La nuit est déjà tombée sur Nimbhara – un petit village indéfinissable en plein cœur de l'Inde – mais c'est tôt le matin pour moi. Je suis en pleine conversation téléphonique avec un agriculteur nommé Ganesh Nanote qui a vécu ici toute sa vie. La quasi-totalité des quelque 500 adultes de Nimbhara ont un emploi dans l'agriculture. Une seule route relie Nimbhara au réseau routier ; elle n'a été construite qu'il y a huit ans environ, et elle connaît maintenant un trafic régulier de bicyclettes et de cyclo-pousse à trois roues. Le patrimoine, la culture et l'activité de Nimbhara, tout cela émerge de son sol – un sol lourd, noir et alcalin, formé à partir de la décomposition des coulées de lave du Deccan qui auraient tué les dinosaures il y a 66 millions d'années.

 

Les sols noirs de ce genre sont connus pour porter la culture du cotonnier, que les agriculteurs de Nimbhara ont pratiquée depuis 4000 ans. Ce fait a amené ce village et d'autres comme lui à l'avant-garde de l'une des batailles les plus tendues de ces derniers temps – celle de la culture de plantes génétiquement modifiées. Depuis 2003, de plus en plus d'agriculteurs indiens ont cultivé du cotonnier génétiquement modifié, en utilisant la technologie sous licence du géant US des semences Monsanto. Les arguments des militants anti-OGM ont conféré à cette région un surnom lamentable : « la ceinture du suicide ».

 

 

À la confluence de l'ancien et du nouveau

 

 

Ganesh Nanote est assis seul dans un de ses champs, bien que le travail de la journée soit fait et qu'il n'y ait personne alentour. « J'aime tout simplement faire cela », dit-il en riant.

 

J'ai discuté avec lui pendant quelques mois pour obtenir son point de vue en tant que producteur de cotonnier GM. Qu'est-ce qui l'a conduit à le cultiver – pourquoi a-t-il continué à le cultiver pendant plus d'une décennie ? Est-ce qu'il se sent dupé par des sociétés comme Monsanto, comme les activistes le prétendent ? Comment explique-t-il les suicides malheureux qui se sont produits dans sa région ?

 

«Je n'avais jamais envisagé de me mettre à l'agriculture », me dit-il, « bien que l'agriculture fasse partie de mon héritage. Quand mon père est décédé en 1991, j'étais étudiant en commerce avec l'intention de continuer. J'ai beaucoup d'intérêt pour la lecture ; je lis tout ce que je peux obtenir : India Today, les journaux locaux Marathi ; j'écoute les BBC News. Mais j'étais l'aîné de la famille quand il est décédé, donc je devais reprendre la ferme. »

 

Alors que Ganesh a vingt hectares, la plupart des agriculteurs de Nimbhara en ont beaucoup moins. Au fil des ans, les projets gouvernementaux ont au moins mis une certaine forme d'irrigation à la disposition de la plupart des fermes, mais Ganesh explique qu'ils restent encore fortement dépendants des pluies de la mousson pour les besoins en eau – des moussons qui sont de moins en moins fiables en raison du changement climatique. La plupart de la population vit avec moins de 200 roupies [3,50 dollars US] par jour. Et pourtant, en quelque sorte, les villages indiens comme celui-ci sont devenus d'avides consommateurs de la recherche de pointe.

 

Les plantes génétiquement modifiées sont interdites en Europe ; elles font l'objet de vifs débats aux États-Unis ; et elles se heurtent à l'opposition du public en Chine. Mais l'Inde a vu une des batailles les plus enflammées – même si la seule plante génétiquement modifiée cultivée est le cotonnier, et que la sécurité alimentaire ne soit pas en cause. Dès le début, les plantes génétiquement modifiées ont mené à des protestations et à l'activisme, à la fois pour et contre.

 

Monsanto a commencé à tester son cotonnier GM dans cinq États indiens en 1998. Immédiatement, les forces se sont déployées des deux côtés. D'une part, le produit sous licence de Monsanto a été piraté et vendu sous l'étiquette d'une marque d'hybrides pour être cultivé partout dans les champs du Gujarat. Lorsque cela fut découvert, les agriculteurs ont protesté contre l'arrachage de ces cultures non autorisées [ma note : par l'État – Monsanto n'avait pas de droit de propriété intellectuelle en Inde]. Lors d'une de ces manifestations, l'agriculteur militant Sharad Joshi a proposé une nouvelle définition pour « la liberté semencière » : « C'est une question de liberté pour l'agriculteur de choisir sa semence et d'avoir accès à la technologie », a-t-il dit.

 

D'autre part, des activistes ont protesté contre ce qu'ils percevaient comme un contrôle exercé par les entreprises semencières. Un tel groupe, le Karnataka Rajya Raitha Sangha (KRRS), a organisé l'Operation Cremate Monsanto consistant à brûler les champs qui ont été utilisés pour les essais sur le cotonnier GM. Dans une préfiguration de ce qui était à venir, l'un des agriculteurs dont les parcelles avaient été utilisées pour les essais a déserté le mouvement quand il a vu que, plutôt que d'apporter la ruine, le cotonnier GM levait avec un taux de germination excellent.

 

Ces derniers temps, la voix principale que l'on entend sur cette question est celle de l'environnementaliste globe-trotter Dr. Vandana Shiva. Elle a affirmé que les agriculteurs indiens avaient été dupés et incités à acheter ces semences ; et que, loin de les aider, l'utilisation de la technologie les a poussés dans la dette et le suicide.

 

Cependant, Ganesh semble pragmatique quand il décrit son histoire avec cette culture. « L'année où j'ai commencé à cultiver le cotonnier GM est gravée dans ma mémoire car c'est l'année de la naissance de mon fils – 2003. Il a maintenant douze ans, il est en septième à l'école, et c'est l'ancienneté de mes cultures GM », dit-il. « Je suis le premier agriculteur de ma région à l'avoir essayé. La première année, j'ai semé deux acres [0,8 hectare] pour faire un essai. L'année suivante, je suis passé à quatre hectares. La troisième année et les années suivantes, je suis monté à cent pour cent. D'autres agriculteurs ont observé mon exemple et maintenant la plupart (vous pourriez dire tous) cultivent du cotonnier GM. »

 

 

« Un engouement »

 

À juste titre ou injustement, certains ont caractérisé l'enthousiasme des agriculteurs indiens pour le cotonnier GM comme un engouement ou une mode. Comment Ganesh le voit-il ? En réponse à ma question, il raconte un peu de l'histoire récente.

 

Beaucoup de gens s'imaginent que les agriculteurs indiens cultivaient le cotonnier indigène selon les traditions millénaires avant que le cotonnier GM ne les ait entraînés dans la modernité. Ce n'est pas le cas. La plupart des agriculteurs avaient abandonné le cotonnier indigène parce que sa courte fibre et son faible rendement l'avait rendu impropre aux exigences du marché – un coton brut qui peut approvisionner de gros volumes de production mécanisée de tissus. La plupart cultivaient déjà des hybrides modernes, avec des rendements élevés et de grandes capsules – mais ces hybrides étaient malheureusement aussi plus sensibles aux parasites. Dans les années 1990, avant que le cotonnier GM n'arrivât sur le marché, les agriculteurs avaient dû combattre dans tout le pays une infestation grave de ver de la capsule. Parfois, m'a dit Ganesh, compte tenu surtout de longues périodes de temps nuageux, les agriculteurs pouvaient perdre plus de la moitié de leur coton, et ne récoltaient pas assez pour couvrir leurs coûts.

 

Dommages du ver de la capsule

 

Ils ont eu recours à des doses létales de pesticides chimiques afin de le vaincre. En raison de la surutilisation, les vers sont devenus résistants à quatre générations d'insecticides.

 

« Endosulfan, monocrotophos, cyperméthrine, quinalphos et décamétherine », Ganesh lit les noms du cocktail qu'ils ont pulvérisé. « On n'avait pas beaucoup de connaissances sur la façon de les utiliser, en dehors de l'information que l'on pouvait recueillir auprès des vendeurs. De temps en temps, quand le produit tombait sur la peau des gens, ils étaient pris de nausées ou de vertiges. Parfois, ils devaient se rendre à l'hôpital. »

 

En dépit de ces traitements, Ganesh dit qu'il obtenait à peine trois ou quatre quintaux de coton brut à vendre par an.

 

Voilà pourquoi la promesse d'un cotonnier qui venait avec son propre insecticide avait créé un tel buzz. Alors que les pesticides chimiques fonctionnent comme des bulldozers, fauchant toute vie, les scientifiques privilégient désormais les contrôles biologiques qui ciblent des organismes nuisibles spécifiques. Par exemple – la bactérie du sol Bacillus thuringiensis (Bt), qui a été utilisée comme pesticide biologique depuis plus de cinq décennies, opère de manière chirurgicale, un peu comme une clé pour une serrure. Elle n'est pas toxique jusqu'à ce qu'elle pénètre dans le système digestif de sa cible – les larves de teignes et de papillons – où elle les fait mourir de faim.

 

Le cotonnier Bt de Monsanto est muni d'un gène de cette bactérie du sol. Ces plantes génétiquement modifiées produisent le cristal Bt intrinsèquement, tout au long de leur cycle de vie. Par conséquent, il n'est pas nécessaire de traiter afin de tuer les larves parasites. Cela a permis à Ganesh de réduire l'utilisation des pesticides chimiques, dit-il, car les vers délaissent maintenant sa culture. Son expérience n'est pas unique – une étude de Chine a constaté que le cotonnier Bt a entraîné une réduction de l'utilisation des pesticides à large spectre, ce qui a permis une augmentation du nombre d'insectes prédateurs bénéfiques. Une étude réalisée en Inde a trouvé un lien de causalité entre l'utilisation du Bt et la réduction des empoisonnements par les pesticides.

 

Semis de cotonnier

 

 

Il mentionne également d'autres avantages qui n'ont rien à voir avec le Bt, mais avec le cultivar particulier dans lequel le gène Bt a été inséré.

 

« Une chose à propos du coton Bt est qu'il a sécurisé la production », dit-il. « Plus vous en cultivez, plus vous en retirez. Plus vous le fertilisez, plus vous en obtenez. Je ne fertilise pas trop mon sol – je limite le NPK ajouté au sol. Cependant, je récolte environ 30-32,5quintaux à l'hectare. Avant le cotonnier Bt, les hybrides que je cultivais étaient plus tardifs. Pendant dix mois de l'année mes fermes étaient occupées par le cotonnier. Les semences Bt produisent une culture qui est prête à récolter en six mois. Je peux alors implanter une culture différente pour le Rabi (hiver) après le Diwali, ce qui m'assure une rotation de cultures. »

 

 

Quelques critiques

 

Les agriculteurs se sont mis aux plantes Bt non seulement en Inde, mais aussi aux États-Unis et en Chine. Pendant ce temps, les controverses ont fait rage à leur sujet.

 

L'une des critiques les plus convaincantes qui a été faite au sujet des plantes Bt est qu'elles poussent les agriculteurs à se fier à une seule méthode de lutte contre les ravageurs – donc à susciter à leur insu une résistance des vers de la capsule. Cette critique s'accompagne de craintes que les sociétés puissent encourager cela afin de trouver des marchés pour de nouvelles recherches et de nouveaux produits.

 

Bien que cela puisse être vrai, les entreprises de semences vendent avec chaque paquet de graines Bt un autre paquet, représentant environ un cinquième du poids du premier, de graines non Bt, afin d'encourager les agriculteurs à consacrer un certain pourcentage de leurs terres à des cultures conçues qui vont échouer à dessein – mais qui donneront au ver de la capsule une soupape de sécurité et préviendront (ou tout au moins retarderont) l'apparition inévitable de vers résistants au Bt.

 

En Inde, cependant, les agriculteurs ont en général trop peu de terres pour en consacrer une partie à une culture délibérément non productive. Quant à Ganesh, il a adopté une solution intéressante au problème de la résistance – la culture intercalaire. Il cultive du pois d'Angole entre les rangs de cotonnier.

 

Culture associée de pois d'Angole et de cotonnier

 

« Les mêmes vers attaquent aussi le pois d'Angole », dit-il, « et celui-ci fait le même travail que la plantation de cotonnier non Bt. » Il a raison. Le ravageur connu sous le nom de foreur de la gousse quand il infeste le pois d'Angole est la même espèce que le ver de la capsule du cotonnier.

 

Pour beaucoup de gens bien intentionnés à travers le monde, dont la plupart ne sont pas des agriculteurs, il est tout simplement exaspérant que les agriculteurs pauvres doivent payer pour leurs semences chaque année en raison des lois sur les brevets, quand ils peuvent obtenir ces semences gratuitement en les gardant de la saison précédente. Ganesh voit les choses un peu différemment. Pour lui, c'est un calcul coûts-bénéfices. Est-ce que le prix des semences est payé par un rendement accru, des dépenses moindres sur les pesticides ?

 

« Les semences ne représentent pas une grosse dépense lorsque vous comptabilisez tout le reste », dit-il. « Mes dépenses pour un hectare de cotonnier sont d'environ 62.500 roupies (940 dollars US). Sur ce montant, les semences ne coûtent que 4.000-4.250 roupies (62-63 dollars US). Le reste va au travail, aux engrais, aux pesticides, et ainsi de suite. Alors, pourquoi cela me dérangerait-il de devoir acheter des semences chaque année ? »

 

D'autres critiques ont oscillé entre le tendancieux et le carrément faux.

 

Par exemple, l'un des plus grands avantages du Bt utilisé comme pesticide est son action ciblée sur un seul type de parasite. Le fait qu'il ne soit pas un poison pour toutes les autres formes de vie est ce qui en fait un choix plus respectueux de l'environnement que les pesticides chimiques.

 

Cependant, il ne constitue pas une panacée et cela est devenu une matraque contre lui. Récemment, les cultures de cotonnier Bt ont subi de nombreuses pertes au Pendjab, dues aux attaques d'aleurodes. Les aleurodes ne sont pas l'un des ravageurs cibles du Bt, et celui-ci ne peut avoir aucune action protectrice contre eux. Les agriculteurs ont exigé une indemnisation et ont accusé les pesticides contrefaits ; en guise de protestation, ils se sont couchés sur les voies ferrées et ont provoqué l'arrêt de la circulation. Les manifestants ont également vu débarquer l'activiste Dr. Vandana Shiva et prendre leur tête, blâmant leur utilisation du cotonnier GM comme responsable, selon elle, des attaques d'aleurodes.

 

« Les aleurodes n'ont rien à voir avec le Bt », explique Ganesh. « Ce n'est pas un problème nouveau. Les agriculteurs ont eu à faire avec eux depuis que je suis dans l'agriculture, cela fait vingt ou vingt-cinq ans. Le problème empire avec l'utilisation excessive d'engrais azotés, comme ils l'ont fait au Pendjab. Une forte densité de peuplement de buissons de cotonnier exacerbera aussi le problème. Ils pourraient également avoir utilisé trop de pesticides. De plus, avec le réchauffement climatique, nous pouvons avoir de longs épisodes secs suivis d'un excès de pluie, ce qui n'arrange rien. »

 

Les cultures de Ganesh sont attaquées par d'autres insectes suceurs semblables aux aleurodes ; jusqu'à présent, il les a contrôlés en utilisant l'huile de neem. « Ils sont contrôlés jusqu'à environ 80 pour cent avec quatre traitements en début de saison », dit-il.

 

D'autres fois, le Dr Shiva a affirmé que les semences GM monopolisent le marché des semences et que les prix ont augmenté jusqu'à 8000 % (80 fois) depuis que le monopole a été créé.

 

Ces affirmations sont faciles à réfuter. Plutôt que d'augmenter, les prix des semences de cotonnier GM ont baissé de moitié depuis 2006 en raison des contrôles gouvernementaux des prix. La baisse a pris une bouchée de la redevance de licence que les entreprises de semences indiennes versaient à Monsanto. Les semences GM n'ont jamais coûté 80 fois plus que les semences comparables – elles se vendaient à l'origine environ quatre fois plus cher que les hybrides qui étaient alors disponibles.

 

« Tous les types de semences sont disponibles, du cotonnier desi (indigène) à de nombreuses variétés hybrides », explique Ganesh. « Mais puisque tout le monde ne veut que du Bt, les marchands ne trouvent pas de clients pour autre chose. Donc, ils ne prennent pas la peine d'amener les autres types à leurs comptoirs. »

 

Bien que le taux d'adoption est maintenant à 95%, et qu'il est pratiquement indiscernable d'un monopole, si l'on regarde comment le cotonnier GM a été adopté au cours de la dernière décennie, on s'aperçoit que cela n'a pas été un gros raz de marée, mais plutôt de petits tourbillons et des remous. Il a fallu plusieurs années pour que les agriculteurs soient convaincus de le cultiver. Certains l'ont cultivé et l'ont délaissé la saison suivante ; certains l'ont cultivé, abandonné, et essayé à nouveau. Les grandes exploitations l'ont adopté plus tôt et les petites exploitations plus tard. Les chiffres racontent l'histoire d'un peuple qui a bien réfléchi.

 

« Les gens disent que les cultures Bt nuisent à l'environnement », affirme Ganesh. « Mais nous l'avons cultivé pendant douze ans et je passe toute la journée à la ferme. Mon épouse aussi. Ma famille mange les produits de la ferme. Rien ne nous est arrivé, ni à nos animaux. Nous n'avons ni taux de sucre élevé, ni diabète, ni quoi que ce soit. Je prends bien soin de mon sol, et aucun dommage n'a été infligé à mon sol, il est encore bien après douze ans de Bt. »

 

 

Il se hérisse aux critiques des personnes qui sont loin de l'agriculture. « Je voudrais inviter ceux qui s'opposent au Bt à être un agriculteur pendant un certain temps », dit-il. « Non pas comme un passe-temps, mais en faisant de l'agriculture la seule source de revenus pour eux et leurs familles. Ce n'est qu'alors que vous pourrez comprendre nos difficultés, et ce que nous devons surmonter pour gagner notre vie à la ferme. »

 

La seule manière de faire comprendre aux gens, dit-il, est d'inclure les agriculteurs indiens dans la conversation. Alors que les médias indiens et internationaux ont été préoccupés par les récits de leur détresse et de suicides, personne, selon lui, ne leur demande vraiment ce qu'ils pensent. « Je me sens bien quand quelqu'un comme vous fait l'effort de me parler », dit-il, « je me sens comme si j'avais une sœur si loin, en Amérique. Personne ne se dérange habituellement pour nos opinions, pas même la presse indienne. Ils écrivent juste ce qu'ils veulent. Si les agriculteurs n'aimaient pas le cotonnier Bt, pourquoi 99% des agriculteurs le recherchent sur le marché ? »

 

 

Du pragmatisme, pas de l'idéologie

 

Ganesh et d'autres agriculteurs comme lui brouillent régulièrement les schémas, très éloignés qu'ils sont des guerres idéologiques de l'Occident sur les aliments. Toujours profondément attaché aux traditions agricoles de son père, il fait remonter ses influences à plus de quatre mille ans. Mais sa soif de connaissances l'amène à faire des choix pragmatiques partout où il peut les trouver.

 

« J'utilise un tracteur, mais j'utilise aussi des bœufs », dit-il en riant. « J'utilise du gobar (de la bouse de vache) sur ma ferme, comme je l'ai appris de mon père. Mais la technologie moderne m'a aussi aidé – j'ai gagné assez d'argent pour acheter un Rotorazor [un broyeur]. Maintenant, je l'utilise pour broyer mes plants de cotonnier après la récolte et les incorporer dans mon sol. Cela augmente la capacité de mon sol à retenir l'eau. Les agriculteurs alentour brûlent les plantes après la récolte. Pour moi, c'est un terrible gaspillage. Je ne traite rien du tout comme des ordures. »

 

En fait, il est un leader local, et présente souvent ses techniques pour les enseigner à d'autres agriculteurs. Cela lui a valu plusieurs prix, dont le plus récent est les Fellows of the Jamsetji Tata National Virtual Academy de la Fondation pour la recherche M.S. Swaminathan en 2015. Mais lorsqu'on lui demande ce qu'il leur enseigne, il a du mal à l'exprimer.

 

« Il est difficile pour moi d'expliquer... Laissez-moi essayer. Par exemple, je dis aux agriculteurs, si votre QI est élevé, vous pouvez apprendre facilement, sinon vous ne pouvez pas. De la même manière, vous devez voir le QI du sol pour savoir ce qu'il peut porter. J'apporte régulièrement mes échantillons de sol à l'université pour les faire analyser, alors seulement je décide de la quantité d'engrais à ajouter, ou de ce qu'il faut cultiver. Je n'apporte pas trop d'engrais. Ce n'est qu'après l'analyse du sol que j'apporte la quantité appropriée. »

 

 

« Je dis aux agriculteurs, vous ne voudriez pas manger la même nourriture à chaque repas, non ? Tout comme le corps a besoin d'une variété d'aliments pour une bonne santé, le sol doit porter une variété de cultures. Vous ne pouvez pas faire pousser une seule chose. Le sol est vivant. Vous devez le traiter comme ça. Sinon, il produira peut-être pendant trois ou quatre ans, et puis il cessera de fonctionner pour vous. »

 

Les agriculteurs indiens n'ont pas la vie facile, et ils n'ont pas eu une histoire facile. Le manque de crédit réglementé, le changement climatique, l'absence d'infrastructures modernes, le manque d'éducation et parfois même l'analphabétisme font partie de leur lot ; mais Ganesh voit les plantes GM comme un outil dans leur boîte à outils de solutions potentielles, et non pas comme la cause de leur détresse.

 

« Le plus gros problème est le manque d'irrigation », dit-il. « Si tout le monde avait accès à l'irrigation, personne ne penserait à des choses telles que le suicide. Aujourd'hui, la mousson est devenue peu fiable. S'il pleut, il pleut beaucoup ; ou bien on peut avoir une sécheresse. J'ai entendu dire que cela est dû au réchauffement climatique. Nous subissons des crues soudaines. Cela ne s'est jamais produit auparavant. Une inondation peut ruiner les champs. Nous avons également eu parfois de la grêle... avant, on n'avait jamais vu la grêle dans cette région. Environ cinq ou six fois par année, nous avons de la grêle. Nous avons aussi d'autres problèmes. Nous avons des coûts élevés de main-d'œuvre... le gouvernement subventionne les céréales de telle sorte que cela augmente le coût du travail pour nous. Le prix de vente minimal du coton est trop faible ; nous ne pouvons pas obtenir les tarifs que nous voudrions. »

 

Les agriculteurs indiens sont maintenant beaucoup plus accessibles, même pour les médias occidentaux, que par le passé. Les régions rurales de l'Inde n'ont pour la plupart pas bénéficié de la révolution du haut débit et, avant cela, n'ont même jamais été bien connectées avec des lignes fixes. Mais ces derniers temps, les téléphones portables sont devenus omniprésents. Bien que l'Inde soit classée dans le dernier tiers des pays pour la pénétration du haut débit, il occupe le troisième rang dans le monde pour le marché des smartphones. Les travailleurs agricoles qui n'ont jamais eu de numéro associé à leur nom – et peuvent toujours ne pas posséder de téléviseur ou même des toilettes – peuvent avoir maintenant un téléphone portable dans leur poche.

 

Certains ont même développé une présence sur les réseaux sociaux. En se connectant sur Facebook ou WhatsApp sur leurs smartphones, les agriculteurs peuvent partager des photos de récoltes et échanger des conseils sur les techniques de semis ou d'irrigation. Ils sont faciles à atteindre. Cela pourrait changer leurs relations avec les médias occidentaux, qui les ont habituellement pris pour des naïfs victimisés.

 

En attendant, il serait bon que le public occidental développe un certain scepticisme salutaire à propos de ces gens qui prétendent parler pour une population entière ; et reconnaître que, parfois, ce qui semble être une manifestation paysanne spontanée se joue entièrement au profit de ces gens. Un exemple récent : une manifestation présentée sur Navdanya, l'ONG co-fondée par le Dr Vandana Shiva, a utilisé le slogan « Farmers' lives matter » (la vie des agriculteurs compte) comme cri de ralliement.

 

Rien de remarquable à cela, pourriez-vous penser ? Eh bien, les manifestations des agriculteurs en Inde ne se font pas habituellement autour de slogans en anglais (avec même les apostrophes correctement placées) qui reflètent les mèmes américains d'aujourd'hui sur Twitter. Ces choses sont généralement des signes du fait qu'on nous trompe.

 

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* Aneela Mirchandani blogue sur ses « obsessions : l'alimentation, les OGM, la science. Intriguée par les légumes et fruits bizarres, les insectes rares, l'humour et la sagesse.

 

Source  : https://medium.com/the-odd-pantry-spillover/high-tech-seeds-in-a-traditional-farm-profile-of-an-indian-gm-farmer-d573a9043e11#.qubbjrixg

 

 

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