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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Téléphone portable : « Une étude américaine renforce les soupçons d’un lien... » et la certitude d'un lobbyisme effréné

2 Juin 2016 , Rédigé par Seppi Publié dans #Activisme, #Article scientifique, #critique de l'information

Téléphone portable : « Une étude américaine renforce les soupçons d’un lien... » et la certitude d'un lobbyisme effréné

 

 

How to Become a Lobbyist

 

 

C'est à propos d'un lien entre cancers et téléphonie mobile, autrement dit les champs électromagnétiques de radiofréquences. Ce n'est pas vraiment le thème général de ce site, mais comment résister... d'autant plus que c'est un article du Monde... qui plus est du journaliste chargé de la couverture des sciences au sein du journal et auteur de « La Fabrique du mensonge... ».

 

Dans le cas présent, il ne s'agit pas vraiment de fabrication de mensonges, mais certainement de doutes... ces « soupçons »... et ce « lien » dont on peine à trouver une relation de cause à effet...

 

C'est une science poubelle, en tout cas de par sa surinterprétation et son exploitation par les marchands de peur. Elle a été diffusée sélectivement, et le Monde a fait partie des privilégiés.

 

Ce fut donc dans des conditions curieuses, comme l'écrit Forbes, qui ne peuvent que faire émerger le souvenir de cette lamentable opération médiatique de septembre 2012 sur les rats de M. Séralini (que M. Foucart avait du reste critiquée en son temps... mais les temps changent...).

 

Mais cet article est fort utile car il y a un lien avec nos thèmes favoris...

 

« Cependant et de manière inhabituelle, Le Monde n'a pu prendre connaissance de l'étude sous embargo qu'après la signature d'un accord de confidentialité expirant mercredi 19 septembre dans l'après-midi. Le Monde n'a donc pas pu soumettre pour avis à d'autres scientifiques l'étude de M. Séralini... » (Stéphane Foucart)

 

 

Mai 2011 : le CIRC fait déjà son cirque...

 

Lançons la nasse au loin... En mai 2011, le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) a classé les champs électromagnétiques de radiofréquences comme « peut‐être cancérogènes pour l’homme » (Groupe 2B), sur la base d’un risque accru de gliome, un type de cancer malin du cerveau, associé à l’utilisation du téléphone sans fil. Ce classement avait suscité quelques remous, certes bien moins que dans le cas du glyphosate. On trouvera une excellente analyse des incongruités de ce classement dans « Are Cell Phones a Possible Carcinogen? An Update on the IARC Report ».

 

Comme souvent, cet amalgame entre CIRC et OMS...

 

Du reste, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) était intervenue un mois après avec un aide-mémoire, « Champs électromagnétiques et santé publique: téléphones portables », mis à jour depuis lors, en octobre 2014. Le texte suivant est resté inchangé :

 

« Y a-t-il des effets sur la santé?

 

Un grand nombre d’études ont été menées au cours des deux dernières décennies pour déterminer si les téléphones portables représentent un risque potentiel pour la santé. À ce jour, il n’a jamais été établi que le téléphone portable puisse être à l’origine d’un effet nocif pour la santé. »

 

Source

 

 

L'OMS siège désavouait donc – déjà – le CIRC. À ce stade on peut déjà s'interroger sur le titre de l'article du Monde, « Une étude américaine renforce les soupçons... » Quels soupçons (suffisamment étayés, bien sûr) ?

 

Le CIRC avait quant à lui noté dans son communiqué de presse :

 

« Le Groupe de Travail a pris en compte des centaines d’articles scientifiques ; la liste complète sera publiée dans la Monographie. Il faut noter que plusieurs articles scientifiques récents issus de l’étude Interphone et non encore publiés, mais acceptés pour publication, ont été mis à disposition du Groupe de Travail peu avant la réunion, et inclus dans l’évaluation. »

 

Dans le cas du glyphosate, le groupe de travail s'était abstenu de prendre en compte l'évaluation du Bundesinstitut für Risikobewertung (BfR)... autres temps, autres mœurs... Ou peut-être autre configuration des preuves qui amène à accepter ou rejeter selon l'objectif poursuivi.

 

 

...avec un certain M. Christopher J. Portier...

 

Toujours est-il que le groupe comprenait au moins une experte (Mme Elisabeth Cardis) auteure d'articles pris en compte – mais il n'y avait bien sûr pas de conflits d'intérêts, ben voyons...

 

Un personnage est bien plus intéressant : M. Christopher J. Portier, à l'époque au National Center for Environmental Health et à l'Agency for Toxic Substances and Disease Registry, Centers for Disease Control and Prevention. Il était même président d'un sous-groupe.

 

Nous avons vu ad nauseam sur ce site que M. Portier, devenu activiste pour l'Environmental Defense Fund, a joué un rôle très important dans la décision du CIRC sur le glyphosate ; et un rôle encore plus important dans le lobbying déployé par la nébuleuse de l'opposition aux pesticides pour inciter les autorités européennes à ne pas renouveler l'autorisation de mise sur le marché du glyphosate.

 

 

...qui fait le Monsieur Loyal dans le Monde...

 

Quel rôle a-t-il joué pour les champs électromagnétiques de radiofréquences ? Qu'importe aujourd'hui. Dans le Monde, il fait le Monsieur Loyal d'une extraordinaire clownerie.

 

Source

 

Il y est présenté comme toxicologue, ce qu'il n'est pas : sa spécialité, ce sont les statistiques. Il y est aussi présenté comme ancien directeur adjoint du National Toxicology Program (NTP), alors qu'il est aujourd'hui un activiste aux activités débordantes au service de causes qualifiées d'environnementales. Pourquoi l'auteur de l'article n'a-t-il pas fait état de ses occupations actuelles ?

 

C'est que les déclarations d'un membre de la confrérie des toxicologues ont plus de crédit que celles d'un lobbyiste patenté.

 

Ça fait franchement désordre... mais Monsieur Loyal n'est-il pas, habituellement, outrageusement maquillé ?

 

 

...et qui, prêchant la « bonne parole », ne saurait avoir de conflits conflit d'intérêts

 

M. Portier se prononce donc sur une étude entreprise par son ancien employeur, le NTP. Cela vous choque-t-il ? Nous pas spécialement. Sauf que nous sommes ici en train de commenter un article d'un journal et d'un auteur qui ne rate guère les occasion de dénoncer les conflits d'intérêts– directement ou par le truchement de personnes interviewées. Ainsi, lorsque l'« étude » de ce professeur qui fait le prestige de la science française a été rétractée de Food&Chemical Toxicology, « on » s'est empressé de lui donner la parole :

 

 

« M. Séralini va plus loin et soupçonne les industriels des biotechnologies d'avoir fait pression pour obtenir le retrait de son étude. Le chercheur français cite l'arrivée au comité éditorial de la revue, début 2013, du toxicologue Richard Goodman, professeur à l'université du Nebraska (Etats-Unis) et ancien employé de Monsanto. »

 

On était fin novembre 2013 et les relations de travail de M. Goodman avec Monsanto s'étaient arrêtées en... 2004, lorsqu'il est devenu professeur à l'Université du Nebraska. Reconnaissons tout de même qu'il y a eu une sorte de bémol du Monde :

 

« Il n'est pas certain que l'arrivée de M. Goodman dans le comité éditorial de la revue ait été déterminante pour asseoir un biais pro-industrie en son sein.

 

Mais c'était pour tomber de Charybde en Scylla :

 

« Toxicologue, Wallace Hayes [à l'époque rédacteur-en-chef de F&CT] est lui-même consultant et ancien vice-président du cigarettier RJ Reynolds... »

 

Or donc, MM. Goodman et Hayes, et bien d'autres, sont affligés de conflits d'intérêts... M. Portier, non.

 

 

Une « vaste étude »...

 

Et M. Portier vante une « étude » dont nous ne disposons pour le moment que d'une prépublication, d'un projet n'ayant pas encore franchi les fourches caudines de la revue par les pairs, mise en ligne le 26 mai 2016, à une heure américaine, et commentée dans le Monde le 28 à 00h05... avec déjà les recommandations de M. Portier (ainsi que, du reste, un commentaire du CIRC)... Remarquable célérité...

 

« "C’est la plus vaste étude de ce type conduite à ce jour sur le sujet", dit le toxicologue Christopher Portier, ancien directeur adjoint du NTP. L’étude, conduite sur deux ans et demi a coûté plus de 20 millions de dollars. Les groupes d’animaux étudiés comptaient chacun 90 individus, afin de maximiser la puissance statistique des résultats. Outre les animaux témoins (non exposés), certains groupes ont été exposés à des niveaux de rayonnement de 1,5 Watt par kilogramme (W/kg), d’autres à 3 W/kg et à 6 W/kg. Soit des niveaux d’exposition supérieurs à ceux des humains : la plupart des téléphones portables commercialisés ont un débit d’absorption spécifique (DAS) inférieur à 1 W/kg. En outre, les rats ont été soumis à un niveau d’exposition considérable. Leur corps entier a été exposé, tout au long de leur vie, 18 heures par jour, selon un cycle régulier : 10 minutes d’exposition, suivies de 10 minutes sans exposition, etc. »

 

Reprenons calmement : une étude, non encore « validée » par un comité de lecture ; mise en ligne de manière hâtive ; publiant des données partielles, sélectionnées ;faisant l'objet d'un article anxiogène manifestement téléguidé moins de deux jours après ; dont on souligne, par une sorte d'argument d'autorité, le coût (bien supérieur à celui de l'ignoble « étude » sur les rats ; sur des rats exposés à des niveaux de rayonnement extravagants, sur l'intégralité du corps... ; tout cela pour conclure à un renforcement des « soupçons » – jusque là guère existants en dehors de ce classement du CIRC – « d’un lien entre cancers et téléphonie mobile »...

 

 

Rendons tout de même à Foucart... Il nous a épargné une autre déclaration de M. Portier que l'on trouve chez un autre privilégié, sur Mother Jones :

 

« Le niveau de rayonnement que les rats ont reçu n'était "pas très différent" de celui auquel les humains sont exposés quand ils utilisent des téléphones portables, a déclaré Chris Portier. »

 

Là, on se trouve en plein dans la fabrique du mensonge ! M. Portier n'est-il pas lobbyiste ?

 

Une publicité sur Mother Jones...

 

 

...sans résultats convaincants...

 

Nul besoin d'être statisticien pour se rendre compte que les résultats obtenus par cette équipe (dont on ne connaît que la seule affiliation) n'étayent en aucune manière un discours anxiogène. Les critiques commencent du reste à pleuvoir, et on prédit même un grand avenir pour l'étude au musée des horreurs scientifiques.

 

Téléphone portable : « Une étude américaine renforce les soupçons d’un lien... » et la certitude d'un lobbyisme effréné
Téléphone portable : « Une étude américaine renforce les soupçons d’un lien... » et la certitude d'un lobbyisme effréné
Téléphone portable : « Une étude américaine renforce les soupçons d’un lien... » et la certitude d'un lobbyisme effréné
Téléphone portable : « Une étude américaine renforce les soupçons d’un lien... » et la certitude d'un lobbyisme effréné
Téléphone portable : « Une étude américaine renforce les soupçons d’un lien... » et la certitude d'un lobbyisme effréné
Téléphone portable : « Une étude américaine renforce les soupçons d’un lien... » et la certitude d'un lobbyisme effréné

« On » ose écrire :

 

« Pour les deux normes d’émissions testées (GSM et CDMA), les résultats indiquent une incidence des deux cancers qui croît globalement avec le niveau de rayonnement reçu par les animaux. »

 

Ça ne saute pas vraiment aux yeux.

 

Mais. il y a une grande différence entre mâles et femelles (tiens, comme pour le glyphosate et le maïs NK603 de la célèbre « étude »...). C'est très gênant – pour les marchands de peur – car on voit mal pourquoi, sur la plan de la physique et de la physiologie, les premiers seraient plus touchés que les secondes.

 

 

...mais, heureusement, M. Portier est là...

 

Mais il y a M. Portier :

 

« A ce jour, précise Christopher Portier, "il n’existe que des indices très limités de l’existence d’un mécanisme biologique à même d’expliquer la cancérogénicité des rayonnements non ionisants" »

 

 

...pour entretenir les fonds de commerce

 

Cela n'explique pas la différence (qui, pour nous, tient du hasard des petits nombres), mais ça fait diversion. Et la cancérogénicité apparaît dans cette phrase comme un fait établi.

 

L'étude n'étant pas conclusive – et le business de M. Portier et de ses amis étant d'entretenir la technophobie,

 

« ...les résultats partiels présentés devraient suffire à ce que "les pouvoirs publics investissent plus, sans attendre, dans la recherche scientifique sur les impacts sanitaires de ces technologies". »

 

Oh oui ! Et pendant tout le temps où on conduira ces études, forcément de gigantesque envergure, M. Portier et ses employeurs auront un os à ronger.

 

Quant au Monde... nous le remercierons vivement pour nous avoir permis d'exposer les turpitudes du militantisme sans éthique.

 

 

 

Au fait...

 

Selon l'article scientifique :

 

« À la fin des deux années de l'étude, le taux de survie était moindre dans le groupe témoin des mâles que dans les 2 groupes de rats mâles exposés au RRF [rayonnement de radiofréquence] modulé en GSM. Le taux de survie a également été légèrement plus faible chez les témoins femelles que chez les femelles exposées à 1,5 ou 6 W/kg de RRF modulé en GSM. Chez les rats exposés aux RRF modulés en CDMA, la survie était plus élevé dans tous les groupes de mâles exposés et dans le groupe des femelles exposées à 6 W/kg par rapport aux témoins. »

 

Quant au Monde, écrivions-nous ? Il aurait pu titrer :

 

« Une étude américaine renforce les preuves d’un lien positif entre téléphonie mobile et longévité ».

 

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M
L'usage excessif du téléphone portable peut être néfaste pour la vie de couple, le sommeil ou la concentration. Mais augmente-t-il le risque de développer un cancer ? Je pense qu'aucune étude encore aujourd'hui ne vient donner une réponse, qui viendra quand ??
Répondre
S
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour votre commentaire. Des études ont été réalisées ou sont en cours. Elles ne sont pas très concluantes. Une des raisons est que les conclusions ne sont pas binaires : ou bien on établit un excès de cancers, et il faut établir la relation de cause à effet ; ou bien on ne trouve pas d'excès, mais "absence de preuve ne vaut pas preuve de l'absence".<br /> <br /> Mais je m'autorise une prédiction : même si on trouve une cancérogénicité, qui sera forcément très faible, on n'abandonnera pas le téléphone portable... qui par ailleurs a sauvé bien des vies.