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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Douce ironie : les impacts environnementaux du déni de science sur le sucre issu de betteraves GM

20 Mai 2016 , Rédigé par Seppi Publié dans #OGM, #Glyphosate (Roundup), #Activisme

Douce ironie : les impacts environnementaux du déni de science sur le sucre issu de betteraves GM

 

Sucre « non GM » ou pollution par le brûlage des champs de canne à sucre ?

 

Kevin M. Folta*

 

L'homme et le champ de canne à sucre en Guadelopue

 

Plusieurs fois par année, je sors de l'autoroute à péage de la Floride à Yeehaw Junction en direction du sud. Quand j'arrive à la petite ville de Okeechobee, je prends à gauche et emprunte la Route 98, et traverse le vaste jardin de la Floride. Flanquées par le lac Okeechobee à l'ouest et les villes aisées de la côte Atlantique à l'est, les petites villes nichées dans ce ruban de terres assurent une production dynamique de maïs sucré, de bétail, de laitue et de canne à sucre. Le sucre dérivé de la canne se retrouve dans de nombreux placards comme sucre de table, et aussi dans de nombreux produits de consommation.

 

Comme on en a rendu compte sur NPR, des entreprises de confiseries cèdent devant les demandes de consommateurs qui veulent que le sucre qu'ils consomment ne provienne pas d'une plante GM. Pour le scientifique, c'est très curieux, car le sucre de table provenant de la canne à sucre (qui n'a jamais été un OGM) est chimiquement identique au sucre de table issu d'hn OGM comme la betterave sucrière : c'est du saccharose. La canne à sucre et la betterave à sucre sont des partenaires dans le plaisir, satisfaisant tous deux les envies gourmandes de l'Amérique. Cependant, la demande de sucre « non GM » n'est une excellente nouvelle que pour les industries de la canne à sucre, leur produit ayant renchéri en réponse à la demande de « sans OGM ».

 

 

La canne à sucre (à gauche) et la betterave à sucre (à droite) sont les principales sources de saccharose, de sucre de table. La betterave à sucre a été modifiée génétiquement pour résister à des herbicides, ce qui leur permet de croître dans des champs sans mauvaises herbes.

 

 

Qu'est-ce que la canne à sucre? La canne à sucre est une grande et luxuriante graminée tropicale. Elle atteint quelques mètres de haut et forme d'immenses océans de vert qui ondulent avec la douce brise. C'est un spectacle à ne pas manquer. Habituellement, mes voyages à travers le pays de la canne à sucre ont lieu en début de matinée, quand le soleil embrase le ciel, et que les champs de canne forment un cadre paisible et doux.

 

Mais les écologistes voient ces champs à travers un prisme très différent, et ils ont fait leur cible de la production de canne à sucre depuis des décennies. Leur principale objection est le brûlage de la canne, une pratique contre-intuitive de la production agricole. Ces immenses champs sont littéralement incendiés pour préparer la récolte. Le feu supprime la majorité des feuilles et ne laisse derrière lui que les cannes chargées de sucre aptes à être récoltées. Environ 60.000 hectares de canne à sucre sont brûlés chaque année, et les groupes environnementaux se sont farouchement opposés à cette pratique. Ils affirment que la pratique produit des gaz à effet de gaz et émet des milliers de tonnes de polluants dans l'atmosphère, lesquels dérivent vers les villes densément peuplées de la côte est de la Floride.

 

Des groupes "écologistes" sont allés en justice pour faire annuler les permis de brûler les champs de canne à sucre en Floride

 

Il semble que les groupes environnementaux favoriseraient ainsi une alternative à faible impact.

 

Le sucre de table est du saccharose, une molécule associant une molécule de fructose et une molécule de glucose. Le fructose et le glucose sont des produits du métabolisme de la plante et fournissent les éléments de base des structures cellulaires. Les plantes fabriquent le glucose et le fructose, puis les lient par voie enzymatique pour former le saccharose. La canne à sucre stocke simplement beaucoup de saccharose.

 

D'autres plantes concentrent aussi le saccharose dans des organes de réserve. Les fruits sont un bon exemple. La betterave à sucre a été sélectionnée pour stocker des quantités importantes de sucre, environ 20% du poids total, dans une racine centrale. Elle pousse bien dans les climats tempérés et fournit environ la moitié de la production de sucre [aux États-Unis d'Amérique ; au niveau mondial, c'est environ 20 %].

 

Une innovation a rendu la production de betteraves à sucre plus attrayante pour les agriculteurs : la résistance au glyphosate, produisant des betteraves « Roundup Ready ». Ces plantes sont produites à partir de semences et poussent en même temps que les mauvaises herbes pendant quelques semaines. Ensuite, les agriculteurs pulvérisent un herbicide (glyphosate) qui tue les mauvaises herbes mais épargne la culture, qui reste bien vivante.

 

Cela fonctionne parce que les betteraves ont été modifiées génétiquement avec une enzyme qui résiste aux effets de l'herbicide, lequel perturbe normalement la physiologie des plantes. Les plantes GM survivent très bien, ce qui leur permet de se développer sans concurrence, et elles finissent par prendre le dessus sur les mauvaises herbes émergentes. Dans de nombreuses régions productrices de betteraves à sucre, une seule application de l'herbicide glyphosate (habituellement environ une bouteille de soda par hectare) fait le boulot. Si la pression des mauvaises herbes est importante, on peut aller jusqu'à 6 litres selon la loi, mais c'est coûteux et n'est utilisé qu'en cas dernier ressort. Les plantes sont récoltées plusieurs mois après l'application.

 

Les producteurs de betteraves à sucre trouvent cette technologie incroyablement utile. Un fermier à qui j'ai parlé a dit que cela lui permet d'économiser les coûts énormes de l'embauche d'équipes chargées du désherbage manuel, environ 1200 $ par hectare. Une application de glyphosate – travail et autres frais inclus – coûte 62 $ par hectare. La main d'œuvre est de plus en plus difficile à trouver ; cette technologie permet également aux producteurs de se détourner d'autres herbicides qui ne présentent pas comme le glyphosate un risque minimal et un faible impact environnemental.

 

« Le glyphosate nous a permis de rationaliser la production de betteraves », a déclaré Suzanne Rutherford, une productrice californienne de betteraves sucrières. « Il est difficile de trouver de la main d'œuvre pour désherber beaucoup d'hectares, et avec Roundup Ready, nous n'avons plus à faire ça. »

 

Le passage à la betterave à sucre GM serait donc une évolution positive pour les agriculteurs et l'environnement.

 

À gauche, avant. À droite après le révolution technologique.

 

 

Mais au cours de la dernière décennie, il y a eu une augmentation de l'hystérie anti-OGM. Elle a été alimentée par la désinformation sur l'Internet, des articles scientifiques isolés de faible qualité, et les industries mobilisant des milliards de dollars qui prospèrent lorsque les solutions agricoles classiques peuvent être qualifiées de douteuses ou dangereuses. Il est facile d'effrayer les consommateurs, et les revendications d'une minorité agissante et bruyante ont eu un écho auprès des producteurs de l'agro-alimentaires, lesquels cherchent maintenant à se fournir en ingrédients non GM pour leurs produits.

 

Hershey, une entreprise synonyme de produits bons pour la santé, est un bon exemple. Comme indiqué dans l'article sur NPR, la société Hershey est en train de passer à des ingrédients tous non GM, ce qui signifie l'utilisation de sucre de canne plutôt que de sucre de betterave. Les calories vides des confiseries saturées en sucre peuvent maintenant être consommées sans avoir à se soucier de la plante qui a produit le saccharose. Mais encore une fois, le sucre de canne (C12H22O11) est chimiquement identique au sucre de la betterave (C12H22O11).

 

 

La demande pour du sucre non GM a entraîné une hausse du prix du sucre de canne et une diminution de l'intérêt pour les betteraves à sucre GM. Pour bénéficier de cette tendance, certains producteurs de betteraves à sucre pourraient bientôt passer aux variétés non GM qui requièrent l'utilisation de produits chimiques qui n'ont pas le profil de sécurité sanitaire et environnementale du glyphosate, y compris des cocktails de plusieurs herbicides qui doivent être appliqués fréquemment et dans des conditions parfaites. Les solutions alternatives de contrôle des mauvaises herbes comportent un risque potentiel significativement plus grand pour la santé des travailleurs et les impacts environnementaux potentiels.

 

Dans ce cas remarquable de régression, les consommateurs exigent ce qui serait pour les agriculteurs et l'environnement le plus mauvais choix. La technologie GM a été incorporée dans les betteraves à sucre pour produire le même produit final à un autre moment de l'année par rapport à la canne à sucre, et dans une autre partie du pays. Le sucre est produit sans énormes nuages de fumée noire, sans travail manuel coûteux, et sans utilisation d'herbicides de l'ancienne génération. Ce fut une avancée de la science qui a amélioré la sécurité des travailleurs et la gestion de l'environnement.

 

C'est là un autre rappel du fait que s'opposer au génie génétique revient souvent à s'opposer aux meilleures options pour les humains et la planète. La canne à sucre et la betterave à sucre nous livrent tous deux le même produit final. Il est vraiment troublant que des entreprises soient contraintes à des décisions coûteuses qui n'ont aucun effet sur ce que mange le consommateur, autre que d'augmenter son coût, ainsi que l'incidence sur l'environnement. C'est ce qui arrive quand nous nous nous détournons de la science et acceptons les escroqueries du marketing et les campagnes militantes au détriment des décisions judicieuses faites à partir de preuves.

 

Toute concession se traduit par une demande de nouvelle concession

 

______________

 

* * Kevin Folta est professeur et président du Département des sciences horticoles de l'Université de Floride, Gainesville. Ses recherches portent sur la génomique fonctionnelle des petits fruits, la transformation des plantes, la base génétique des saveurs, la photomorphogenèse et la floraison. Il a également écrit de nombreuses livres et publications. Il est sur twitter @kevinfolta.

 

Source : http://www.science20.com/kevin_folta/sweet_irony_the_environmental_impacts_of_gmo_sugar_science_denial-172630

 

 

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