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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Diméthoate : Le Foll se pète la cerise

10 Avril 2016 , Rédigé par Seppi Publié dans #Pesticides, #Parasites et maladies des plantes, #Politique, #Santé publique

Diméthoate : Le Foll se pète la cerise

 

 

 

Il est revenu...
Diméthoate : Le Foll se pète la cerise

Il avait disparu un temps... il y eut même un avis de recherche... Et puis il nous est revenu de manière plutôt tonitruante en envoyant aux membres de l'Assemblée Nationale une lettre pour les convaincre de ne pas inscrire « l'interdiction brutale » des insecticides néonicotinoïdes dans la loi sur la biodiversité. Le Ministre de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt Le Foll a ainsi démontré l'état de déliquescence de ce gouvernement dont les ministres s'étripent joyeusement et ouvertement, chacun défendant, contre l'autre, un intérêt catégoriel, sinon personnel, au mépris de l'intérêt de la Nation. Le Porte-parole du Gouvernement Le Foll a dû apprécier le confort de cette fonction...

Le précédent des néonicotinoïdes

 

Digressons encore un peu : le Monde, fidèle à sa ligne éditoriale, a titré à cette occasion : « Le jeu trouble de Stéphane Le Foll sur les pesticides ». Il ne lui est pas venu à l'esprit que l'on pouvait également parler de jeu trouble du « camp » d'en face. Et qu'il a soulevé un problème de taille lorsque, citant un Le Foll pour une fois réaliste, il a écrit que la politique française vis-à-vis de ces produits « ne peut se faire en créant des distorsions entre les agriculteurs français et le reste des agriculteurs européens ».

 

Extraordinaire ! M. Le Foll s'était précédemment vanté d'avoir obtenu de la Commission européenne, en mai 2013, une suspension de certains usages de trois néonicotinoïdes – la clothianidine, l’imidaclopride et le thiaméthoxame. C'était en principe pour deux ans, à compter du 1er décembre 2013, mais le délai de deux ans, largement évoqué dans la presse, était un superbe attrape-nigauds : il ne figure dans le règlement d'exécution de la Commission que dans les considérants, et encore sous la forme suivante :

 

« Dans les deux ans à compter de la date d’entrée en vigueur du présent règlement, la Commission entamera dans un délai raisonnable un examen des nouvelles informations scientifiques qu’elle aura reçues. »

 

M. Le Foll avait à l'époque déclaré :

 

« ...se réjouir de ce moratoire sur les néonicotinoïdes à l’échelle européenne, qui seule permet une protection efficace des abeilles tout en préservant la compétitivité des agriculteurs français par rapport à leur collègues européens. »

 

Notez que certaine association représentant en principe les apiculteurs continue de se plaindre de la mortalité jugée excessive. Quoi qu'il en soit, M. Le Foll ne s'était nullement préoccupé de la compétitivité des agriculteurs européens par rapport à leurs collègues du reste du monde... Encore un effort, M. Le Foll, et vous saisirez peut-être la dimension de votre mission avant les prochaines élections...

 

 

Drosophila suzukii, un ravageur majeur

 

Ce drame de l'irresponsabilité politique et économique vient de se reproduire avec l'affaire du diméthoate, de la cerise et de Drosophila suzukii.

 

La problématique est expliquée dans un excellent article sur Forumphyto. On trouvera aussi sur le même site un court billet avec des liens et une collection de références (arrêtée au 1er octobre 2014).

Diméthoate : Le Foll se pète la cerise

Rappelons en bref : le diméthoate est le seul produit efficace contre Drosophila suzukii qui pond ses œufs dans des fruits et provoque des dégâts importants, en particulier sur cerise, allant jusqu'à des absences de récoltes. Mais ce n'est pas un produit anodin. L’étude d’alimentation totale menée par l’ANSES en 2011 concernant l’exposition réelle des consommateurs français (EAT 2) a mis en évidence qu’il n’était pas possible d’exclure un risque aigu pour les forts consommateurs de cerises. Cependant :

« Ces dépassements de la VTR [valeur toxicologique de référence ] sont associés à la détection du diméthoate dans des cerises et ne concernent que les forts consommateurs de cerises : le risque ne peut donc être écarté mais doit néanmoins être relativisé au regard de la consommation effective de ce fruit tout au long de l’année. »

 

Notez bien la phraséologie : il est question d'incertitude par rapport à des valeurs établies de manière très protectrice, pas de risques avérés.

 

Le 7 juin 2010, la limite maximale de résidus (LMR) du diméthoate dans les cerises est passée de 1 à 0,2 ppm (ou mg/kg) au niveau européen. Cheminova Agro France a alors annoncé un nouveau délai avant récolte (DAR) de 21 jours (sur e-phy il est de 14 jours). Un traitement plus de trois semaines avant la récolte permet de respecter une réglementation particulièrement contraignante (au Canada, pays peu réputé pour négliger la santé des consommateurs, la LMR est de 2 ppm, dix fois supérieure à l'européenne, en accord avec le Codex alimentarius).

 

 

Le 18 janvier 2016, Vegetable écrivait dans « Cerise, l’heure des choix » :

 

« Les producteurs de cerise du Vaucluse ne cachent plus leur inquiétude quand à la pérennité de leur activité. Alors que l’an passé, la météo particulièrement sèche et chaude et l’autorisation d’utiliser le diméthoate à demi dose 14 jours avant récolte leur a permis de passer une saison plus sereine qu’en 2014 durant laquelle les pertes avaient été colossales, le chemin s’annonce de nouveau plus que périlleux en 2016. En effet, l’Anses a émis la possibilité de retirer la molécule de la liste des produits autorisés, conduisant à l’arrêt de la distribution du produit en France. »

 

 

 

L'ANSES évaluateur et décideur, entre le marteau et l'enclume

 

Flashback : dans sa sagesse (c'est une formule consacrée), le législateur a décidé dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 de confier à l’ANSES, à compter du 1er juillet 2015, la mission de délivrer, retirer ou modifier les autorisations de mise sur le marché (AMM) et permis des produits phytopharmaceutiques, des matières fertilisantes et supports de culture, et des adjuvants.

 

Digressons... enfin pas vraiment : l'altermonde anti-pesticides n'a rien trouvé à redire au cumul de l'évaluation et de la décision. Branchez-les sur le cumul du conseil et de la vente de produits phytosanitaires... et courez vous mettre à l'abri... surtout si vous ajoutez « coopératives » et « FNSEA ».

 

Cette position est très inconfortable. Dans son activité d'évaluation, l'ANSES donnait déjà des signes de soumission au politiquement correct et aux attentes de ses donneurs d'ordre. Un exemple simple est le silence opposé aux sornettes des activistes – « associations », « organisations » ou magazines télévisés – alors que son homologue allemand, le BfR répond (voir notamment ici et ici).

 

Mais elle est aussi confrontée à la démagogie. Ainsi, le Ministre de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt Le Foll, qui s'est débarrassé de la tâche ingrate d'autoriser des « insecticides tueurs d'abeilles » et autres horreurs dans l'esprit des bobos bien nourris (et électeurs), ne s'est pas gêné, après le Cash Investigation de sinistre mémoire, pour tenir des propos interprétés par la presse – en l'absence de tout démenti – comme un engagement à restreindre, voire interdire, les usages du chlorpyriphos-éthyl.

 

 

L'affaire de la suspension des néonicotinoïdes montre aussi qu'il règne un désordre inimaginable dans la répartition et le respect des compétences : l'ANSES est saisie d'une demande d'avis sur les risques pour les abeilles et les autres pollinisateurs le 24 juin 2015 par les ministres de l’Écologie, de la Santé et de l’Agriculture (objectif implicite : donner des munitions pour le maintien de la suspension au niveau communautaire) ; elle remet son avis (auquel nous ne sommes pas autorisés à accéder si nous partons du lien du Ministère de l'Environneme, de l'Énergie et de la Mer...) ; et Mme la Ministre Royal déclare dans la foulée : « Les recommandations de l'Anses seront appliquées ».

 

Et pour illustrer encore davantage le délire administratif et politique, « l’Anses préconise le renforcement des conditions d’utilisation des produits » (néonicotinoïdes). En bref :

 

« L’Agence souligne également qu’il subsiste une forte incertitude concernant certains usages, en particulier le traitement des semences pour les céréales d’hiver ou en pulvérisation sur vergers et vignes. Dans l’attente des résultats des travaux en cours au niveau européen, l’Agence préconise le renforcement des conditions d’utilisation pour tous les usages pour lesquels subsiste une incertitude importante ; elle recommande également de ne pas semer de culture attractive pour les pollinisateurs à la suite d’une culture traitée par des néonicotinoïdes. »

 

Comment interpréter la déclaration de Mme la Ministre ? Un abus de pouvoir annoncé... enfin si elle était encore crédible... quoique... tout est possible... À ceux qui pensent que cela relève d'un problème de personnalité, on peut répondre que le résultat aurait été le même avec ses prédécesseurs. Notez aussi le moteur des recommandations et futures décisions : l'incertitude des connaissances.

 

 

Un retrait, malgré les protestations des producteurs

 

Et pour le diméthoate, la cerise et Drosophila suzukii ? C'est apparemment sans tambours ni trompettes que l'ANSES a retiré, en février dernier, les autorisations des produits contenant du diméthoate (voir par exemple ici). La décision n'a pas été abrupte (voir ci-dessus la citation de Vegetable). Mais les explications et protestations des producteurs sont restées vaines.

 

 

Et la compétitivité ?

 

Mais c'est que le diméthoate est approuvé au niveau de l'Union européenne et qu'il est utilisé dans de d'autres pays, pas que sur la cerise, mais aussi, en particulier, pour lutter contre la mouche de l'olivier.

 

Que répond le Ministre de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt Le Foll ? Le Ministre qui considère que « les produits phytosanitaires sont comme une bombe à retardement » ?

 

« Stéphane LE FOLL, conscient du risque de distorsion de concurrence pouvant peser sur nos producteurs (ce produit pouvant être utilisé dans d’autres pays d’Europe ou dans le monde) et de l’enjeu de protection des consommateurs a saisi ce jour la Commission européenne pour lui demander d’activer les mesures d’urgence prévues par le droit européen :

 

  • Interdiction immédiate de l’utilisation du Diméthoate dans toute l’UE sur les fruits et légumes

 

  • Interdiction immédiate sur l’ensemble du territoire européen de mise sur le marché de cerises provenant de pays ou d’Etats membres dans lesquels l’utilisation du Diméthoate est permise. »

 

Voilà donc une matière active apparue en... 1948, utilisée depuis des lustres (avec encore des usages résiduels jusqu'à récemment en France sur l'asperge, le cerisier, la production de racines de chicorées, l'olivier et le rosier) pour laquelle – quasiment par caprice – la France demande l'application d'une procédure d'urgence qui imposait à la Commission de se prononcer dans un délai (maintenant expiré) de sept jours :

 

« La commission européenne devait donner une réponse le mardi 5 avril. Joint le jeudi 7 avril par téléphone, le ministère a indiqué ne pas avoir de nouvelles de la Commission. »

 

Pour assurer la compétitivité des producteurs français, assurons la décroissance de la compétitivité de nos voisins producteurs de cerises et d'olives, et les moins voisins comme la Turquie... voilà de quoi se faire des amis !

 

La sortie sur le nutelle  ? L'Italie n'avait pas apprécié !

Une motivation bien capillotractée

 

M. Le Foll justifie ainsi son mouvement du menton :

 

« En France, [...] (ANSES) a conclu fin 2015 à la nécessité de retirer le produit DIMATE BF400 sauf à ce que l’entreprise détentrice de l’autorisation apporte des données permettant d’écarter tout risque de toxicité [...]. En l’absence de transmission de données par l’entreprise sur les fruits pour l’ensemble de l’Union européenne, l’ANSES a retiré l’autorisation de mise sur le marché de ce produit en Février 2016. »

 

Notons qu'une recherche sur le site de l'ANSES ne donne rien sur cette nécessité... Notons aussi qu'« écarter tout risque de toxicité » est tout simplement impossible ; que le « risque » est avéré (c'est bien pour cela qu'il y des VTR, DJA, LMR, DAR...) ; que la question est de savoir si le « risque » est gérable et supportable ; enfin que la question est aussi le rapport risque-bénéfice.

 

La Coordination rurale, en pointe sur ce dossier, affirme par ailleurs que les « données de toxicité demandées [...] sont actuellement en cours d'évaluation par l'Italie qui rendra ses conclusions en juillet 2018 », en fait conformément au calendrier communautaire de réexamen de la molécule.

 

Le communiqué de presse du Ministre de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt Le Foll (version HTML, pas PDF) met aussi en lien une liste de « produits de protection des cerisiers contre ce ravageur [qui] restent autorisés ». La CR note, outre que le diméthoate est le seul produit efficace (et économiquement viable) :

 

« Et alors que 24 spécialités y sont présentées comme des alternatives au diméthoate, la CR tient à préciser que la liste proposée comprend des spécialités non homologuées pour l'usage cerise ! »

 

 

Soyons fou jusqu'au bout !

 

Le délire ne s'arrête pas là. Selon le communique de presse de notre ministre :

 

« Dans l’éventualité où la Commission, à l’issue de ce délai, n’aurait pas répondu à la France, Stéphane LE FOLL déclenchera une clause de sauvegarde nationale pour interdire la commercialisation en France de cerises traitées au Diméthoate qu’elles soient produites en France ou ailleurs dans le monde. »

 

Superbe manifestation d'intelligence : le diméthoate n'est plus autorisé en France, mais notre ministre interdira les « cerises traitées au Diméthoate […] produites en France ». Quant à celles venant d'ailleurs, on se demande comment il fera...

 

Le fol amour de la démagogie... rien ne lui résiste !

 

... Le Foll...

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L
Le lien sur le site du ministère est erroné. Pour accéder au rapport de l'Anses il faut aller ici : https://www.anses.fr/fr/system/files/SUBCHIM2015SA0142.pdf
Répondre
S
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour votre commentaire. J'avais donné le bon lien juste avant ("avis"). Je viens de supprimer le lien défectueux.