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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

« Sciences participatives » en Île-de-France : PICRI = Pique-richesses ?

3 Janvier 2016 , Rédigé par Seppi Publié dans #Politique, #Activisme, #OGM, #Pesticides

« Sciences participatives »  en Île-de-France : PICRI = Pique-richesses ?

 

À propos, plus particulièrement, de « OGM et non-OGM : quelle équivalence en substance ? »

 

 

Vous avez dit « sciences participatives » ?

 

Comme nous l'avons évoqué dans un billet précédent, certaines régions avaient mis en place des programmes de recherche associant des acteurs de la recherche publique et « la société civile ». Nous utilisons le plus-que-parfait ici : la majorité a changé dans les régions concernées et il est possible que ces programmes fassent l'objet d'un examen critique ; il est possible aussi qu'ils soient maintenus, avec juste un changement d'orientation, pour tout dire de clientèle.

 

En Île-de-France, ce sont, depuis 2005, les « PICRI », Partenariats institutions-citoyens pour la recherche et l'innovation ». Au total, 110 projets ont été sélectionnés et soutenus par la région, pour un montant maximum (sauf exception) de 150.000 € sur trois ans.

 

Selon la présentation du programme en chapô :

 

« Ce dispositif original encourage les collaborations entre laboratoires publics et société civile pour produire en commun des connaissances.

 

Sauf que, dans la phrase suivante, il s'agit d'une :

 

« ...organisation issue de la société civile, à but non lucratif ».

 

Il certes nécessaire, en montant des partenariats, d'avoir des interlocuteurs bien identifiés, mais le glissement est intéressant, et il n'est pas que sémantique. Car voilà un mécanisme censé rapprocher la science et le citoyen – science et citoyen étant censés dans ce contexte appartenir à des mondes différents – qui, en réalité... écarte le citoyen « ordinaire » au profit d'entités qui sont certes « issues de la société civile » mais ne sauraient ni se substituer à elle, ni même s'en faire le mandataire. Quant à l'absence de but non lucratif...

 

Précisons pour être complet qu'il existe d'autres mécanismes qui impliquent les acteurs économiques.

 

La liste des « thèmes et projets PICRI » est donnée ici. Il y a, nous semble-t-il, de quoi tirer des enseignements. Pour qui voudra bien le faire...

 

Pour notre part, nous sommes évidemment partis à la recherche de la « petite bête ». Ce n'est pas par opposition de principe au mécanisme, mais par conscience des dérives. Et, de fait, on ne peut qu'être surpris par certains thèmes et leur justification, les partenariats et l'indigence en matière d'informations, tant sur les moyens mis en œuvre que sur les résultats.

 

 

De l'Île-de-France au Laos

 

Ainsi, il y a eu un projet « Observatoire des changements sociétaux et environnementaux (2007) ». Les partenaires : AgroParisTech et un Comité de coopération avec le Laos. Surprenant attelage ? L'objet du PICRI était :

 

« Observation comparée des changements sociétaux et environnementaux sur les berges de deux rivières du Laos, Nam Hinboun et Nam Lik, ayant ou devant faire l’objet d’un aménagement hydroélectrique. »

 

Mais c'est qu'il y avait un intérêt pour la région Ile-de-France ! En effet :

 

« Objectivation du débat sur l’utilité des grands barrages à l’aide des informations produites par un outil d’observation-évaluation partagé. »

 

Nous n'insisterons pas sur les autres aspects du projet mis en avant. Comme on le sait, la région Île-de-France est particulièrement concernée par les grands barrages...

 

 

À quoi servent les députés ?

 

Que penser aussi de « Les députés font-ils la loi ? (2010) », associant le Centre d'études européennes (CEE) de Sciences Po (EA 4459) et Regards Citoyens, une association fondée l'année précédente (et dont le site témoigne de l'existence d'un « agenda ») ?

 

« ...À cette fin, le projet s’attache à développer un outil informatique original de visualisation... » Un outil, évidemment, détenu par l'association.

 

 

Recherche ou promotion d'activités ?

 

« Créer un réseau d’acteurs du commerce équitable – Identifier, créer, développer et valoriser un réseau d’acteurs du commerce équitable en Île-de-France » (2007-2009) avait le mérite de la franchise dès le titre. Le partenaire « citoyen » était la Plate-forme pour le commerce équitable, une entité dont on peut légitimement questionner le positionnement par rapport au « citoyen » et à l'« économique ».

 

 

Un site fantôme

 

Troisième exemple : « Histoire de l'écologie en France (2010) », associait le Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines (Chcsc, EA 2448), Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, le Centre international de recherche en écologie/Musée du Vivant/AgroParisTech et, côté « citoyen », l'Enda (Environnement et développement du tiers monde) Europe, le Réseau Mémoire de l’environnement, la Nouvelle association pour la fondation René Dumont et Les Amis de la Terre. Selon la présentation du projet,

 

« Un site internet, Histecologica, comprendra des ressources documentaires, des séquences vidéo, des corpus d'archives orales (entretiens avec des acteurs associatifs). »

 

Si on fait confiance aux moteurs de recherche, ce site... n'existe pas.

 

Par ailleurs,

 

« Le projet, conduit par des partenaires franciliens, permettra la collecte et la valorisation d’archives et de témoignages d’associations et d’experts-militants de la région, théâtre de nombreux combats fondateurs du mouvement écologique (Forêt de Fontainebleau, Vallée de Chevreuse, Plateau de Saclay, etc.). »

 

Vous avez bien lu : « experts-militants »...

 

 

Un PICRI au service de l'anti-OGMisme

 

Pour étudier une plante cultivée GM... étudions un champignon

 

Question militantisme, il y a mieux (pire).

 

Le PICRI « OGM et non-OGM : quelle équivalence en substance ? » a été mis en place en 2010.

 

Il associe selon sa présentation officielle le Laboratoire Veac (Variabilité environnementale et adaptation des champignons), Université Paris-Sud, dont le responsable est M. Christian Vélot, et le Mdrgf (Mouvement pour les droits et le respect des générations futures), devenu Générations futures.

 

Selon le résumé en chapô,

 

« L'étude évaluera si les composants des organismes génétiquement modifiés et leurs contreparties conventionnelles sont réellement identiques. »

 

Notons que, bien sûr, ils ne le sont pas : l'OGM se distingue de sa contrepartie conventionnelle par la caractère qui lui a été conféré par transgénèse !

 

 

Selon la description :

 

« Une étude exhaustive du principe d’équivalence en substance pourra être menée à l’échelle d’un organisme entier. Elle envisagera les conséquences génétiques, métaboliques, morphologiques et fonctionnelles d’une modification génétique d’une part, et de l’exposition à une concentration sub-agricole de Roundup (herbicide le plus utilisé dans le monde) d’autre part, étant donné que 80% des OGM agricoles ont été génétiquement modifiés pour pouvoir absorber le Roundup dans leurs cellules sans mourir. » (C'est nous qui graissons.)

 

Pour ce faire, le projet était censé utiliser... un champignon !

 

Le principe d'équivalence en substance est, bien sûr, décrit de manière tendancieuse, pour ne pas dire erronée. Cela permet d'introduire les « organisations » qui, telle Génération futures »,

 

« ...se situent donc à l’interface entre les organes d’évaluation et l’ensemble de la société civile, non pas comme médiateurs, mais comme boucliers chargés de protéger et de prévenir les citoyens d’éventuelles dérives dues à des évaluations trop précaires ou superficielles ainsi que comme organisme d’interpellation des décideurs. »

 

Voilà donc un projet PICRI associant un laboratoire dont le responsable est un chercheur militant, ouvertement opposé aux OGM utilisés en milieu ouvert et une association présentée comme un « bouclier ».

 

 

Coproduction de connaissances avec un partenaire... qui en manque

 

 

Pour le volet « coproduction des connaissances »,

 

« Ce projet sera l’occasion de renforcer les interactions entre différentes entités de l’Université Paris-Sud de cultures scientifiques différentes : d’une part, le laboratoire Veac de l’UFR des Sciences qui a une expertise dans le domaine de la génétique fondamentale et moléculaire des champignons, et tout particulièrement d’A. nidulans, et d’autre part, les plateformes techniques de l’UFR de pharmacie. »

 

Anticipons : il ne semble pas que l'UFR de pharmacie ait été sérieusement impliquée dans le projet. En tout cas, pas dans le colloque final.

 

Les interactions avec la « société civile » – lire : Générations futures (dénomination actuelle) – sont aussi intéressantes :

 

« L’association Mdrgf a pour objet d’agir, par tous moyens légaux, pour la défense de l'environnement et de la santé. Face à l’énorme pression industrielle qui s’exerce en faveur de la culture et de la commercialisation des OGM agricoles, il est primordial que les citoyens soient tenus informés des risques liés à leur utilisation et qu’ils aient l’assurance que ces risques aient été correctement évalués. Il est donc crucial, pour que le Mdrgf puisse remplir sa mission, qu’il se dote des moyens lui permettant de s’assurer de l’innocuité sanitaire et environnementale des OGM, notamment en jouant un rôle d’interlocuteur des chercheurs dans la construction des expériences d’évaluation, la discussion et l’interprétation des résultats. »

 

Le projet s'est donc inscrit d'emblée dans un cadre conflictuel – dévoilant l'objectif réel, qui est d'étayer une opinion préconçue et non d'acquérir des connaissances objectives. Le partenaire « citoyen » est censé « coconstruire » une connaissance... à partir de moyens qu'il est censé acquérir grâce au partenariat...

 

Mais c'est que GF devait aussi jouer le rôle d'« interlocuteur ». Mais, franchement, les chercheurs ont-ils besoin d'interlocuteurs pour mener à bien ce qui relève du b.a.-ba de la recherche ? On saurait difficilement dévoiler plus crûment le caractère capillotracté du partenariat.

 

Nous n'aurons pas l'outrecuidance de demander quelle était, à l'époque, l'assise associative du MDRGF.

 

Dans son rapport de novembre 2011 (donc postérieur à l'attribution du soutien de la région au projet en discussion ici), M. Jean-Paul Huchon avait écrit :

 

« La définition du partenariat PICRI a été précisée dans l’appel à projets 2011 en affinant notamment les critères qui concernent le partenaire associatif comme suit :

 

  • Les partenaires « société civile » ne doivent être soumis ni à une finalité politique, ni à une finalité marchande.

  • Ils doivent réunir des acteurs d’appartenances variées et faire preuve d’une forte mobilisation autour d’un projet de recherche à finalité collective ayant des retombées sociétales importantes.

  • Ils ne peuvent émaner directement de laboratoires de recherche, de structures d’enseignement supérieur, de centres hospitaliers ou d’entreprises déjà impliqués dans le projet.

 

 

Formation

 

Le volet « formation » du projet n'est pas inintéressant :

 

« Un stage de master 2 de six mois (janvier à juin) est prévu la première année, suivi d’une thèse (Années 2 à 4) pour travailler sur les études toxicologiques du Roundup, ses effets mutagènes et recombinogènes, participer à la construction des souches transgéniques, aux analyses phénotypiques détaillées de ces souches génétiquement modifiées et de la souche conventionnelle cultivée en présence de Roundup, ainsi qu’aux analyses morphologiques et fonctionnelles par imagerie cellulaire. Le(s) étudiant(es) seront inséré(es) dans le laboratoire VEAC et bénéficieront des contacts avec le Mdrgf. »

 

Anticipons : on pouvait raisonnablement s'attendre à ce que, à l'issue du programme, le thésard fasse une intervention sur le sujet de sa thèse... Ce ne fut pas le cas.

 

Et « ... bénéficieront des contacts avec le Mdrgf » ?

 

 

Un volet « dissémination » ambitieux

 

Le volet « dissémination » était particulièrement ambitieux :

 

« Objectifs et publics visés :

1. Diffusion des résultats de recherche vers la communauté scientifique internationale.

2. Diffusion des résultats de recherche à destination du grand public (associations, journalistes, agriculteurs, élus… etc.).

3. Valoriser les collaborations entre organismes scientifiques et partenaires de la société civile

4. Diffusion de l’ensemble des résultats finaux avec invitation de conférenciers extérieurs au projet apportant des compétences sur d’autres aspects de l’évaluation sanitaires des OGM, à destination de la communauté scientifique et d’un public concerné (consommateurs, agriculteurs, élus,…). »

 

Et, notamment, s'agissant du premier point :

 

« 1- Rédaction par les chercheurs institutionnels (Université Paris-sud) d’articles scientifiques dans des revues internationales à comité de lecture ; communications aux colloques scientifiques, par exemple dans le cadre du réseau européen Enseer (European Network of Scientists for Social and Environmental Responsability : www.ensser.org) dont Christian Vélot est le vice-président. »

 

Cela a au moins le mérite de l'honnêteté et de la transparence : la Région Ile-de-France était appelée à contribuer financièrement, fût-ce indirectement, à une association européenne ayant un but particulièrement partisan.

 

Quant au point 4, c'était tout aussi clair. On annonçait une conférence potentiellement pâté d'alouette : une alouette de résultats du projet ; un cheval de « ... compétences sur d’autres aspects... »

 

 

Au final, un projet qui s'inscrit dans une volonté politique régionale

 

 

Il en est de même de l'envolée finale, sous la rubrique « intérêt régional » :

 

« Un tel projet permettra à la région Île-de-France de se doter d’éléments concrets, s’appuyant sur des données scientifiques, lui permettant de solliciter les Institutions européennes et les États membres pour une éventuelle révision de la législation en vigueur en matière d’évaluation sanitaire et environnementale des OGM, sur la base des principes généraux mentionnés dans la Charte de Florence. Signée par la région Île-de-France le 4 février 2005, elle engage les régions signataires à prendre les mesures et à mener les actions pour protéger leur agriculture, leur population et leur environnement.

 

[...]

 

« La démonstration scientifique de ce Picri renforcerait les choix politiques de la région Île-de-France dont l’un des axes forts en matière de politique agricole réside dans la promotion et le développement de l’agriculture biologique et de systèmes à bas niveau d’intrants, modèles culturaux qui ne peuvent s’accommoder du développement des OGM. »

 

Le projet de PICRI s'avère en dernière analyse comme superbement rédigé, avec tous les éléments – objectifs ou enjolivés – qu'il faut pour séduire un jury d'attribution. Chapeau l'artiste !

 

A-t-il livré la marchandise ? C'est ce que nous analyserons dans un prochain billet.

 

 

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