La tragédie des produits phytosanitaires contrefaits
Nous avons appris par la France agricole – une saine lecture ! – du 6 novembre 2015 qu'une nouvelle campagne de publicité « Des phytos hors-la-loi, ce n'est pas pour moi » avait été lancée début novembre, pour durer tout le mois.
Initiative nécessaire, mais a-t-elle vraiment été suivie d'effets ? Car nous n'avons rien vu...
On peut lire sur le site du Ministère que :
« La fraude peut avoir plusieurs origines. Il peut s’agir :
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d’importations illégales de produits autorisés en France;
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de produits autorisés autrefois mais désormais retirés de la vente;
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de produits phytosanitaires autorisés dans d’autres pays, mais interdits en France…
On peut aussi se trouver en présence de formulations ou de principes actifs contrefaits. »
Notre système économique nous mets relativement à l'abri des contrefaçons. Ce n'est pas le cas pour de nombreux pays en développement, dans lesquels les agriculteurs – et quelquefois aussi les consommateurs – sont victimes de véritables drames.
Imaginez simplement un agriculteur qui, confronté à un problème de ravageur, utilise un produit contrefait ne contenant pas (ou pas en quantité suffisante) la matière active : sa récolte – le fruit de son labeur et des ses investissements – peut être perdue. Imaginez un produit contrefait contenant une substance dangereuse pour la santé qui se retrouve dans le produit...
Mais il n'y a pas de quoi faire dans l'autosatisfaction. Ainsi, la police a découvert 19,4 tonnes de sulfate de nicotine, déclaré comme cyanamide de calcium, dans le port de Hambourg. Comme on ne le sait généralement pas, la nicotine est extrêmement dangereuse ; on admet généralement qu'une dose de 60 mg suffit pour tuer un homme.
L'été 2014, 21 tonnes de produits phytosanitaires contrefaits ont été saisies à la frontière polonaise dans une opération conjointe de l'Office européen de lutte antifraude (OLAF), des douanes polonaises et des fabricants. Le Monde a publié un excellent reportage en février 2015, « Pesticide connection » (texte complet ici).
Il y a une phrase qui devrait nous interpeler :
« Un conteneur qui n’est pas destiné à un pays de l’Union européenne ne peut être saisi. A son débarquement, les agents ne peuvent veiller qu’à son acheminement hors des frontières de l’Union. »
Beaucoup de marchandises douteuses en direction de l'Afrique ou de l'Amérique du Sud transitent par l'Europe soit pour des raisons de logistique, soit pour brouiller les pistes. La possibilité de retenir de telles marchandises aux frontières fait l'objet de l'article 16 de l'Accord commercial anti-contrefaçon (ACAC), plus connu sous l'acronyme ACTA (Anti-Counterfeiting Trade Agreement). Mais, au moins pour l'Europe, il vaut mieux écrire au passé : l'Accord a succombé à des préoccupations égoïstes, à des considérations idéologiques et à la pusillanimité politique.
Moyennant quoi les « médicaments » contrefaits – qui font l'objet d'une attention médiatique plus soutenue que les produits phytosanitaires – peuvent continuer à passer par Rotterdam, Anvers, etc. pour opérer des « meurtres de masse » au Nigeria et ailleurs en Afrique.
L'Agence Reuters vient de publier un excellent article, « Fake pesticides endanger crops and human health in India » (les pesticides contrefaits menacent la santé des plantes et des hommes).
Selon une étude à laquelle le gouvernement a souscrit, les contrefaçons représenteraient 30 % du marché total, estimé à 4 milliards de dollars des EU.
Les insecticides contrefaits ont causé des pertes dans les cultures de cotonnier (évidemment GM) du Nord de l'Inde à la suite d'une attaque d'aleurodes.
Les pertes de production alimentaire sont estimées à 4 %. Ça ne vous dit peut-être pas grand chose : dans le contexte indien, cela représente l'alimentation de 50 millions de personnes. Ou bien, si cette quantité était répartie entre les plus pauvres des plus pauvres, de quoi résoudre le problème de la malnutrition.
Il s'agit là, certes, d'un très grand « si », mais il a le mérite de mettre en perspective un véritable fléau pour les sociétés modernes (sachant toutefois que l'on connaît, par exemple, des contrefaçons de poteries de l'époque romaine).